« Il faut gratter le poison jusqu’à l’os ». C’est ainsi que Chen Yixin, secrétaire général de la Commission Centrale des Affaires politiques et légales (la « zhèngfǎwěi ») et fidèle lieutenant du Président Xi Jinping, avait inauguré courant 2020 la « campagne de rectification », sorte d’extension de la « campagne anti-corruption », visant spécifiquement la police, la justice et l’appareil de sécurité d’État.
Elle vient de faire deux nouvelles victimes : Sun Lijun, et Fu Zhenghua. Avec Meng Hongwei (l’ancien président d’Interpol, tombé en 2018) et Meng Qingfeng (2020), cela fait quatre vice-ministres de la Sécurité Publique qui sont ainsi « tombés de cheval » depuis le XIXème Congrès.
Ces purges reflètent les difficultés du leadership à faire confiance à ceux qui sont chargés de la surveillance du pays, craignant que ceux-ci ne se retournent contre lui. L’approche d’une échéance politique inédite, le XXème Congrès de l’automne 2022, qui devrait, selon toute vraisemblance, accorder à Xi Jinping un troisième mandat (ou plus), en une rupture de toutes les règles pré-établies, ne fait qu’augmenter le climat de paranoïa ambiante.
L’arrestation de Sun Lijun (孙力军), 52 ans, remonte au 19 avril 2020, un mois après avoir été vu aux côtés du Président Xi Jinping à Wuhan, en tant que membre de l’équipe ad hoc envoyée sur place pour gérer l’épidémie. Un an et demi après son interpellation, la commission centrale d’inspection de la discipline (CCID) l’a officiellement expulsé du Parti le 30 septembre. Le commentaire accompagnant la nouvelle est étonnamment détaillé, rappelant celui de Sun Zhengcai, l’ex-patron de Chongqing, condamné à la prison à vie en 2018.
Il est reproché à Sun Lijun d’avoir nourri des « ambitions politiques outrecuidantes », de s’être « arbitrairement opposé aux politiques du gouvernement central » et d’avoir œuvré à la « formation de cliques et de cabales pour prendre le contrôle d’un département clé (…) causant un danger extrême à la sécurité politique et l’unité du Parti ».
Plus intrigant, Sun Lijun est accusé d’avoir « abandonné son poste sans autorisation pendant l’épidémie » et d’avoir « détourné des documents confidentiels ». A quelles fins ? Mystère… On sait seulement que Sun est diplômé d’un master en santé publique d’une université australienne, pays qui a réclamé une enquête indépendante sur les origines du Covid-19, et qu’en parallèle, un cadre de Tencent nommé Zhang Feng, a été mis sous enquête début 2020 pour avoir transmis des données WeChat à Sun Lijun.
Trois jours après l’inculpation de Sun Lijun, c’est au tour de Fu Zhenghua (傅政华), 66 ans, ex-ministre de la Justice, d’être formellement mis sous enquête le 2 octobre. Si le communiqué est laconique, l’agence officielle Xinhua rapporte que Fu avait une « ambition politique démesurée » et « très peu d’intégrité politique ». Il aurait également formulé des « critiques sans fondement des politiques du Parti » et « propagé des rumeurs ». Des accusations qui font écho à celles portées contre Sun Lijun. Coïncidence troublante, Fu Zhenghua a donné sa démission au ministère de la Justice au lendemain de l’annonce de l’interpellation de Sun en avril 2020, avant de se voir transféré à la tête de l’un des comités de l’assemblée consultative (CCPPC), un « placard » en attendant d’être fixé sur son sort…
Jusqu’en 2016, Fu Zhenghua avait connu une carrière fulgurante. Ancien chef de la police de Pékin entre 2010 et 2013 (cf photo), il était réputé pour ses méthodes musclées et pour avoir démantelé différents réseaux de prostitution qui opéraient dans des boites de nuit de la ville, avec le soutien de certains hauts placés. Ce vaste coup de filet lui avait valu une promotion en tant que vice-ministre de la Sécurité publique en 2013. Sous Xi Jinping, Fu Zhenghua a pu sauver son poste en dirigeant l’enquête contre son ex-patron, le chef de toutes les polices Zhou Yongkang (condamné à la prison à vie en juin 2015 pour avoir comploté contre Xi Jinping), sans toutefois réellement gagner la confiance du leader. En juillet 2015, il coordonnait le « 709 », l’arrestation de centaines d’activistes et d’avocats spécialisés dans la défense des droits de l’Homme…
Chose rare, l’annonce de la chute de Fu Zhenghua a été célébrée à la fois par ceux qu’il a dirigé au sein de l’appareil (policiers, gardiens de prison…), ainsi que par ceux qu’il a réprimé (journalistes, dissidents, pétitionnaires…). « Après la chute d’une telle pointure du système judiciaire, policiers comme avocats se retrouvent unis dans la célébration – un véritable tour de force pour un cadre », relate avec sarcasme un chroniqueur sur Weibo.
L’arrestation de Fu Zhenghua intervient quelques semaines après celle de l’un de ses alliés, Peng Bo, ancien patron de la censure sur internet, accusé d’avoir été « déloyal au Parti ».
Le point commun entre ces trois hommes ? Peng Bo et Sun Lijun ont travaillé ensemble au mystérieux « bureau 601 » chargé de la répression des « cultes », sous les ordres de… Fu Zhenghua.
Même si leurs méfaits sont encore flous, les accusations portées contre Sun Lijun sont l’expression la plus claire des luttes de pouvoir intenses qui agitent les corridors de Zhongnanhai. Le fait que la CCID admette si ouvertement cette tentative de déstabilisation du pouvoir, peut éventuellement signifier que la menace a été écartée et que la clique « rebelle » a été démantelée, envoyant un avertissement aux autres…
Quoiqu’il en soit, le climat politique devrait rester extrêmement tendu d’ici le XXème Congrès de 2022 et de nouveaux rebondissements sont à attendre. D’autres « tigres » (hauts dirigeants) sont particulièrement exposés : le président de la Cour Suprême Zhou Qiang (61 ans), en sursis depuis déjà quelque temps, l’indéboulonnable Guo Shengkun (67 ans), patron de la Commission Centrale des Affaires Politiques et Légales, son prédécesseur Meng Jianzhu (74 ans), retraité en 2017, voire l’ancien vice-Président Zeng Qinghong (82 ans), qui devrait assister à la faillite de Fantasia Holdings, promoteur immobilier de luxe fondée par sa nièce Zeng Jie.
Sommaire N° 33 (2021)