La Chine a été particulièrement active sur le front diplomatique ces derniers jours. Outre le retour au pays extrêmement médiatisé de Meng Wanzhou, directrice financière de Huawei, en échange de la libération de deux ressortissants canadiens, Pékin a officialisé le 16 septembre sa demande d’adhésion au partenariat transpacifique global et progressiste (CPTPP).
Ce pacte est le successeur du défunt « TPP » initié sous la présidence de Barack Obama pour contrer l’influence économique croissante de la Chine dans la zone Asie-Pacifique. Donald Trump, allergique aux accords multilatéraux, avait retiré les États-Unis du traité dès ses premiers jours à la Maison-Blanche en 2017. Signé l’année suivante par 11 pays (Australie, Brunei, Canada, Chili, Japon, Malaisie, Mexique, Pérou, Nouvelle-Zélande, Singapour et Vietnam), le CPTPP est le plus grand accord de libre-échange de la région, et toute nouvelle candidature doit faire l’objet d’un consensus entre les onze pays membres.
Espérant capitaliser sur l’absence américaine avant même que l’administration Biden ne puisse envisager un retour, le Président Xi Jinping avait créé la surprise au sommet virtuel de l’APEC en novembre 2020 en déclarant « favorablement » envisager de rejoindre le pacte.
En déposant officiellement sa candidature, la Chine se présente en championne du multilatéralisme et vient réfuter tout « découplage économique », notamment alimenté par la théorie de « circulation duale » qui consiste à rendre le monde plus dépendant de la Chine, et la Chine moins dépendante du reste du monde. Alors que Xi Jinping a fait de la « prospérité commune » le nouvel objectif du Parti, la candidature au CPTPP a pour mission de rassurer : la Chine va rester une économie de marché.
Au sein du Parti, la demande d’adhésion de la Chine au CPTPP a su séduire les conservateurs, désireux de faire un pied de nez aux États-Unis, tout comme les libéraux, qui la perçoivent comme un moyen d’accélérer le rythme des réformes économiques, comme la procédure d’adhésion à l’OMC l’avait fait il y a 20 ans. Xi Jinping, actuellement en « campagne électorale » pour obtenir un troisième mandat en 2022, pourrait se servir de cette candidature au CPTPP pour faire miroiter de telles réformes.
De ces considérations politiques internes, découle la question suivante : la Chine se donnera-t-elle réellement les moyens de rejoindre l’accord ? Ces dernières années, le gouvernement Xi Jinping a décrété des mesures qui vont à l’encontre du haut niveau de libéralisation économique attendu par le CPTPP.
Pékin a notamment procédé à de nombreuses fusions de ses entreprises d’État, subventionne ses industries, favorise les compagnies chinoises dans ses appels d’offres au détriment des firmes étrangères, réprime tout syndicat indépendant, interdit tout transfert de données à l’étranger, ou encore a recours à des mesures de rétorsion économiques dans ses disputes diplomatiques… L’Australie et le Canada, tous deux membres du CPTPP, en savent quelque chose. Canberra a déjà déclaré que la Chine devait mettre fin au gel des contacts avec les hauts responsables politiques australiens si elle espérait adhérer au pacte. Le Japon n’a pas non plus fait preuve d’un enthousiasme débordant en recevant la demande chinoise. À l’inverse, Singapour et la Malaisie l’ont bien accueilli.
La candidature de Taïwan, déposée une semaine après celle de Pékin, vient compliquer un peu plus le tableau politique. L’île, revendiquée par la Chine, pourrait bénéficier de la bienveillance du Japon, de l’Australie et du Canada. Mais certains membres – de l’ASEAN notamment – pourraient craindre de se mettre Pékin à dos en ne s’opposant pas à l’adhésion de Taïwan. Dans ces conditions, l’unanimité des onze sur les deux candidatures pourrait être bien difficile à obtenir : faut-il admettre les deux, une seule, ou aucune ?
Zhao Lijian, porte-parole de la diplomatie chinoise, a déjà déclaré que « Pékin s’oppose à toute interaction officielle entre Taïwan et un autre État, et rejette fermement l’adhésion de Taïwan à une quelconque organisation ou accord d’une nature officielle ». Le même jour, 24 avions militaires chinois pénétraient dans la zone d’identification aérienne taïwanaise – la plus large incursion depuis trois mois. Le message est clair : la Chine ne tolérera aucune « cohabitation » avec Taïwan dans un schéma similaire à celui de l’OMC ou de l’APEC.
Pour Taipei donc, un compte à rebours a commencé : si la Chine réussit à rejoindre le CPTPP, Pékin va très certainement opposer son véto à la candidature taiwanaise. Si Taipei veut intégrer le pacte, sa seule chance est de coiffer Pékin au poteau. Taïwan serait déjà bien plus proche des standards requis par le CPTPP que la Chine. Mais la bataille sera rude : Pékin pourrait se contenter de faire pression sur un seul des membres actuels du CPTPP pour torpiller les efforts de Taipei.
Cependant, un élément pourrait venir jouer les trouble-fêtes : les États-Unis. En rejoignant le pacte hier abandonné, Washington doucherait les perspectives de Pékin. Mais l’administration de Joe Biden a pour l’instant rejeté cette possibilité.
Sommaire N° 32 (2021)