Petit Peuple : Urumqi (Xinjiang) – Zeng Duozi, ou trop tricher nuit ! (1ère partie)

Urumqi (Xinjiang) – Zeng Duozi, ou trop tricher nuit ! (1ère partie)

À Urumqi, Zeng Duozi est une drôle de fille, qui mène sa vie libre et sauvage entre les groupes ethniques Han et Ouighour, sans se préoccuper des lois ni du qu’en-dira-t-on.

Née en 1976 de parents militaires venus de Shanghai, elle parle chinois, mais aussi ouighour, qu’elle a appris dans la rue. Peu douée pour les études, elle a décroché du système scolaire dès l’âge de 13 ans, au grand désespoir de ses parents. C’était en 1989, année d’événements violents qui déstabilisaient cette capitale du Xinjiang et pour la première fois, son père, sur le terrain jour et nuit à la tête de ses troupes, tâchant de maintenir l’ordre, ne parvenait plus à contrôler sa fille.

Un soir de dispute un peu plus âpre que d’habitude, elle avait claqué la porte pour ne pas revenir. Les parents n’avaient pas osé alerter les autorités, de peur de la voir inscrite sur la liste des dissidents, ce qui lui aurait presque surement coûté des années de réclusion en camp de travail.

Après son abandon de l’école et du foyer, la petite avait végété entre petits boulots et amourettes dans cette grande ville séparée du monde chinois par 1000 km de désert. Pendant l’adolescence, elle eut une relation tumultueuse avec un Ouïghour réparateur de motocyclettes qui l’entraîna chez lui, la rendit femme et lui offrit de l’épouser. Le projet échoua au fait qu’il prétendait l’amener à un mariage à la mosquée, au prix d’une conversion dont elle ne voulait en aucun cas.

Duozi, à vrai dire, était moins amoureuse que désireuse d’échapper à son étouffant foyer natal, et elle gardait assez de jugeote pour deviner qu’entrer dans cette communauté religieuse, la lierait à une forme encore plus dure de servitude. Leur liaison orageuse se poursuivit donc cahin-caha, et se termina quand elle tomba enceinte. Là, elle reprit contact avec sa mère, qui obtint pour elle un avortement discret, tout en la convainquant de retourner à la maison.

Toutefois, la relation avec le père ne s’était pas arrangée : en 1991, elle fugua à nouveau. Cette fois, elle entra dans une bande d’ados sans feu ni lieu, vivant de mendicité et de petits chapardages. Pour échapper aux rondes de la police, ils vivaient en itinérance constante, changeant de campement tous les trois jours pour dormir là où il plaisait à Dieu – terrain vague, bidonville ou squat d’une ferme abandonnée.

D’une beauté sauvageonne, ébouriffée et le teint hâlé, mais le regard perçant et les traits durcis par sa révolte, Duozi s’était rapidement imposée comme l’amie du chef des « Loups gris », leur bande qui était redoutée en ville, au point de décourager les habitants de sortir, le soir tombé. Ils écumaient les abords de la gare, des galeries commerçantes, des souks et des mosquées. La nuit sur leur campement, ils faisaient un feu de joie pour griller des gigots et autres pièces de mouton dérobées sur les marchés, qu’ils dévoraient tout en fumant le « Xinjiang yan », le kif local. C’était une vie de bohème, excitante et jamais ennuyeuse, mais toujours sous la menace d’une descente de police. En effet, sous l’emprise des stupéfiants, ces ados en échec scolaire et en rupture du ban, se vengeaient de la société en abusant des passants qu’ils rackettaient, et en y prenant visible plaisir. Duozi regrettait ces excès inutiles, chaque fois suivis d’une riposte exacerbée des forces de l’ordre. À nombre d’occasions, ils avaient dû décamper dans la nuit, fuir en perdant plusieurs compagnons (arrêtés ou tués dans la débandade), et devoir y survivre plusieurs semaines au désert dans la faim et la soif, attendant que l’affaire se tasse. Un jour de 1996, quand Huan Kedai, le chef de bande, se fit prendre, suite à un rapt ayant mal tourné, Duozi n’attendit pas son tour, et quitta la bande.

Depuis six ans de cavale, à 20 ans, elle recherchait désormais la stabilité. Quelques semaines plus tôt, elle avait rencontré un grossiste de farine très prospère, fournissant un quart des épiceries d’Urumqi. Venant de perdre sa femme, ce quinquagénaire subjugué par sa vitalité, lui avait proposé de vivre avec elle, et elle avait dit « oui » – l’offre tombait au bon moment. Toute sa vie, Duozi avait consommé assez de « nan », ces galettes croustillantes grillées contre les parois de fours de terre cuite, pour reconnaitre à quel point cette denrée était essentielle.

Pas sot, le commerçant avait deviné qu’il ne la garderait qu’en l’occupant et en la formant. En quelques mois, Duozi avait appris à reconnaitre les différentes qualités de farine, à négocier les prix, alternant charme et autorité. Il l’avait présentée aux fournisseurs, aux acheteurs, aux compagnies de transport. Avec lui, elle achetait par camions entiers le froment du Xinjiang, de Mongolie, voire du Kazakhstan voisin, et alimentait épiceries et souks de la ville. Dès 2003 à 27 ans, elle était à même de gérer des commandes en dizaines de tonnes, l’équivalent d’une semaine de consommation pour le quartier entier.

Dès lors, il était temps pour elle de reprendre son indépendance. Elle voulait à présent se mettre à son compte et conquérir d’autres marchés, d’autres villes moins desservies. Seulement voilà, l’absence d’éducation lui manquait cruellement. Plus elle grandissait, plus le calcul des coûts, des taxes la dépassait. Elle commençait à se tromper, perdre de l’argent, risquer la catastrophe. Déjà, deux camions avaient été livrés aux sacs invendables, grouillant de charançons. Elle s’était laissé gruger, les boulangers exigeaient le remboursement sous peine de porter plainte…

Aux abois, Duozi avait imaginé de fuir une fois de plus – mais cette fois, en emportant la caisse. Bien sûr ce faisant, elle retournerait à la clandestinité et cette fois, serait poursuivie par une nuée de happe-chairs, plaignants, avocats et gendarmes pour cette carambouille, délit beaucoup plus grave que les 400 coups de sa jeunesse. Mais enfin, elle en était persuadée, elle saurait brouiller les pistes : n’était-elle pas la plus futée, et sa chance, qui jamais ne l’avait trahie, continuerait à lui être fidèle !

Aussi, à tous ses fournisseurs, en mars 2004, elle avait acheté en masse et au prix fort. À tous ses clients et au-delà, elle avait vendu à prix d’appel, bien en dessous du prix d’achat. Le principe était qu’elle ne livrait qu’au comptant, mais n’honorait la commande qu’à terme. Et puis une fois tout le stock vendu, elle avait simplement disparu avec la caisse, se sauvant par autobus successifs jusqu’à l’autre bout du pays.

Mais c’était compter sans le grand ordinateur du sommier national, qui recensait toutes les fraudes en temps réel. Elle avait cru se mettre à l’abri à 4500 km de là, à Suzhou (Jiangsu), avec les liasses de billets bien planquées dans son cabas. Mais à la police, il n’avait fallu que 15 jours pour remonter à elle, au terme d’une enquête d’autant plus facile qu’elle voyageait sous une carte d’identité grossièrement maquillée. Ramenée à Urumqi, délestée de son magot, elle se retrouvait prestement jetée en détention, condamnée à 10 ans de prison, « comme elle le méritait selon la loi » (赏罚严明, shǎngfá yánmíng).

Mais pour cette fille battante et intrépide, la vie s’arrêtait-elle vraiment là ? C’est ce que l’on verra, au prochain épisode !

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1 Commentaire
  1. severy

    Ne me dites pas qu’elle a séduit le directeur de la prison, qu’elle fournit aux gardiens leurs doses de kif hebdomadaires, qu’elle organise un réseau de prostituées carcérales pour membres du Parti en manque de chair fraîche le week end et qu’elle est devenue secrétaire PC local, quand même!

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