Fermée sous Mao en 1952 pour cause d’incompatibilité avec les « idéaux communistes »*, la bourse de Pékin (北京证券交易所) fait son grand retour sous Xi Jinping en 2021.
Le Président a créé la surprise le 2 septembre en annonçant sa résurrection lors de la foire internationale des services (CIFTIS). Alors que les bourses de Shanghai et Shenzhen ont été créées l’une après l’autre en 1990, Pékin avait jusqu’à présent été laissée de côté… Un comble pour la capitale de la 2ème puissance mondiale, qui héberge la Banque Centrale, les deux régulateurs (boursier, assurances et banques) et les sièges des « Big Four », les quatre banques commerciales d’État !
S’il a longtemps été question de (re)créer une bourse à Pékin, l’actuel découplage financier entre Chine et États-Unis a pu contribuer à accélérer la décision, tout comme le fossé économique grandissant entre le nord et le sud du pays.
L’annonce de la création d’une nouvelle bourse offre un étonnant contraste avec la sévère reprise en main du secteur privé qui fait rage depuis plusieurs mois, la lutte sans relâche contre « l’expansion désordonnée des capitaux » et le nouveau slogan populiste de « prospérité commune ».
Néanmoins, elle s’inscrit dans la volonté du gouvernement de renforcer l’attractivité de ses marchés financiers pour mettre fin à la fuite de ses pépites technologiques à Wall Street. Même s’il est très peu probable de voir les firmes cotées au Nasdaq se délister puis lever des fonds à Pékin, les PME chinoises pourraient bien réfléchir à deux fois avant de tenter l’aventure américaine. La mésaventure de Didi Chuxing est encore dans tous les esprits…
Grâce à cette bourse dédiée aux « PME innovantes », Pékin veut améliorer l’accès aux financements de ses petites entreprises, conscient de leurs difficultés à obtenir des crédits auprès des banques qui préfèrent prêter aux firmes d’État et aux grands groupes. Ce faisant, le gouvernement espère stimuler l’innovation en redirigeant l’épargne des citoyens vers le développement des entreprises technologiques, plutôt que dans le traditionnel secteur immobilier, à son tour victime d’un tour de vis des autorités…
Pour autant, cette annonce a un goût de déjà-vu, puisque la Chine dispose déjà de deux marchés réservés aux valeurs technologiques : le ChiNext de la bourse de Shenzhen, lancé en 2009, et le marché STAR de Shanghai, également inauguré par Xi Jinping en 2019.
Véritable révolution, le marché STAR n’exige plus des entreprises d’avoir réalisé un profit net avant de s’introduire en bourse. Le STAR a d’ailleurs connu un démarrage en trombe, avant que les choses ne se tassent l’an dernier. En effet, depuis l’introduction avortée de Ant Financial (Alibaba), les demandes d’entrée en bourse sont passées au crible, décourageant les éventuels candidats…
De la même manière, la capitale chinoise n’était jusqu’à présent pas totalement dépourvue, puisqu’elle dispose depuis 2012 d’une plateforme de négociation de gré à gré (National Equities Exchange and Quotations, NEEQ), surnommée le « troisième nouveau marché » (新三板). Il avait pour mission de lister des entreprises qui ne répondaient pas aux critères des bourses de Shanghai ou Shenzhen… Cette tentative s’est pourtant soldée par un échec, n’attirant que les petites sociétés aux bilans financiers douteux, faute de contrôles suffisants… « La nouvelle bourse fonctionnera de manière correcte, uniquement si les PME sont de qualité », a rappelé Xiao Gang, ancien patron de la tutelle boursière CSRC.
L’Etat donne donc une nouvelle chance à Pékin, en lui offrant une bourse « clé en main », basée sur le « troisième nouveau marché », mais dopée par un nouveau cadre règlementaire dévoilé par la CSRC dès le lendemain de l’annonce de Xi Jinping.
À l’inverse des marchés STAR et ChiNext, la bourse sera structurée comme une compagnie, avec ses actionnaires, son président (Xu Ming), son conseil d’administration.
Comme ses rivales de Shanghai et Shenzhen, l’enregistrement des entreprises sera simplifié et le prix de l’action ne sera pas limité le jour de l’introduction.
En revanche, les firmes devront afficher un profit net avant de faire leurs débuts en bourse de Pékin.
Autre nouveauté : les petits investisseurs devraient être autorités à participer aux côtés des investisseurs institutionnels, s’ils disposent d’au moins un million de yuans d’actifs dans leur portefeuille. Pékin veut s’assurer que ces petits porteurs ont les reins assez solides pour faire face à une fluctuation journalière fixée à 30%. Sa hantise ? Les voir manifester chaque matin devant le bâtiment de la CSRC…
Actuellement, 66 PME sur les 7299 listées sur le « troisième nouveau marché » répondent aux critères pour entrer en bourse de Pékin. Parmi elles, BTR New Energy Materials, entreprise de Shenzhen valorisée à 7 milliards de $, fabricant de composants de batteries à lithium-ion ; Linton NC Machine, leader dans la production d’équipements à base de silicium cristallin pour l’industrie des semiconducteurs et des panneaux solaires, basé à Dalian ; ou encore Welltrans O & E, fabricant de moniteurs de vidéosurveillance, installé à Wuhan. À terme, la nouvelle place financière devrait faciliter entre 200 et 300 introductions par an.
Mais n’y a-t-il pas un risque de voir la bourse de Pékin cannibaliser les cotations du marché STAR et surtout celles du ChiNext, lui aussi réservé aux petites entreprises ? Même si les autorités ont écarté cette éventualité, les cours du ChiNext et de la bourse de Hong Kong ont chuté au lendemain de l’annonce de Xi Jinping…
En effet, en étant les premières à choisir la bourse de Pékin, les compagnies pourraient espérer s’attirer les faveurs des autorités centrales, qui en retour accroîtraient leur contrôle sur ces PME technologiques.
Il n’est pas non plus exclu que les firmes locales soient « incitées » à se lister en bourse pékinoise. Pour rappel, la ville est le siège de 87 « unicornes » (record du pays), ces start-up valorisées à plus d’un milliard de $, essentiellement situées à Zhongguancun, la « Silicon Valley » pékinoise.
Alors Pékin réussira-t-elle cette fois son pari ? Les observateurs seront vite fixés puisque la nouvelle place boursière devrait donner son premier coup de cloche d’ici la fin de l’année. Il en va de la crédibilité de la capitale chinoise en tant que centre financier.
***************************
* Pour l’anecdote, la première bourse de Pékin (中原证券交易) a été établie le 5 juin 1918, dans un bâtiment en briques à l’ouest de Qianmen, au 36 Xiheyan Jie (前门西河沿街36号, ex-n°196). C’est dans ce hutong que plusieurs banques avaient élu domicile à l’époque, aux côtés du théâtre Zhengyici, établissement trois fois centenaire où Mei Langfang, célèbre chanteur d’Opera de Pékin, avait l’habitude de se produire…
Première bourse opérée par des Chinois, la place a débuté avec 60 courtiers et une capitalisation de 1 million de yuans. Renommée « bourse de Beiping », les affaires ont commencé à se détériorer à partir de 1927, lorsque le gouvernement nationaliste de Chiang Kai-shek a déplacé sa capitale à Nankin… Après la seconde guerre sino-japonaise, la bourse a cessé ses opérations en 1939.
Brièvement rouverte après la fondation de la République Populaire de Chine en 1949, la bourse a définitivement fermé ses portes en 1952, considérée comme un emblème du capitalisme.
Devenue propriété de l’Académie chinoise des Sciences (CAS), elle a un temps accueilli chercheurs et étudiants… Aujourd’hui encore occupé par quelques familles de membres de la CAS, le bâtiment est désaffecté, ayant survécu à de nombreuses démolitions dans le quartier. Il n’a cependant rien perdu de son charme d’autan (cf photo) !
Sommaire N° 31 (2021)