Après un tour de vis contre les fan-clubs en ligne (饭圈, fànquān) jugés « toxiques » pour la jeunesse chinoise, c’est au tour de leurs idoles et des plateformes qui en font la promotion, d’être dans le collimateur de Pékin.
Cette répression reflète les ambitions du gouvernement de purifier le secteur du divertissement de ses « mauvaises influences » et s’inscrit dans une campagne plus large de moralisation de la société (durée limitée pour les jeux vidéo, étude de la ‘pensée de Xi Jinping’ dès l’école primaire…).
Première à passer à l’offensive, l’Administration nationale du Cyberespace (CAC) a publié le 27 août un plan détaillé pour mettre un terme à ce « fanatisme chaotique » qui pousse les jeunes à dépenser des fortunes pour soutenir leur idole et à se livrer à des « rixes en ligne » entre fan-clubs rivaux.
Désormais, les algorithmes des plateformes seront soumis à approbation et leurs résultats devront « respecter les valeurs traditionnelles » et « diffuser une énergie positive ». Les classements des stars selon leur cote de popularité, seront interdits. De même, les émissions de télé-réalité où les spectateurs doivent voter pour leur candidat, seront bannies. Les apps devront également limiter certaines habitudes de consommations excessives, comme le fait d’acheter 100 albums de son chanteur ou de son boys-band préféré. Weibo, Baidu, 360, Tencent, QQ Music et NetEase Music, YouKu, iQiyi, Xigua Video… Toutes les plateformes se sont exécutées sans broncher.
Une semaine plus tard, c’était au tour de la tutelle de la TV et de la radio (NRTA) d’enfoncer le clou, admonestant tous les diffuseurs d’exclure de leur programmes les stars « aux positions politiques incorrectes » et au « style efféminé (娘炮, niángpào) », argumentant qu’une « atmosphère patriotique » est nécessaire.
L’administration a également rappelé que les règles de plafonnement des salaires devaient être strictement respectées et les célébrités encouragées à participer à des associations caritatives.
Le même jour, le ministère de la culture et du tourisme, et l’association chinoise des arts de la performance, ont renchéri en décrétant que tous les acteurs, blogueurs, chanteurs, devront se soumettre à une formation éthique. Plusieurs dizaines d’entre eux, dont les acteurs Du Jiang et Zhou Dongyu, ont déjà été convoqués à une session organisée à Pékin fin août durant laquelle ils ont dû faire leur autocritique (cf photo).
D’autres ont eu moins de chance… Le chanteur-rappeur Kris Wu, l’acteur Zhang Zhenan, la comédienne Zheng Shuang, l’actrice milliardaire Zhao Wei, le compositeur Gao Xiaosong, ont déjà disparu des écrans.
Les offenses reprochées à ces célébrités sont toutes différentes : viols sur mineures pour Kris Wu (en détention, la star aurait dénoncé 47 de ses complices dans l’industrie), selfie au sanctuaire japonais de Yasukuni pour Zhang Zhenan, et recours à une mère porteuse aux États-Unis ainsi que fraude fiscale au moyen de contrats Ying-Yang pour Zheng Shuang (une astuce courante dans le cinéma et qui a déjà entrainé la chute de la méga star Fan Bingbing en 2018). Des déboires qui leur ont coûté de nombreux contrats avec des marques internationales.
Pour la femme d’affaires Zhao Wei (propriétaire d’une demi-douzaine de châteaux dans le bordelais) et le producteur musical Gao Xiaosong, « éradiqués » le même jour de l’internet chinois, c’est plus mystérieux…
Dans un virulent article repris par les comptes en ligne des médias officiels (Xinhua, Quotidien du Peuple, PLA Daily, CCTV, China Youth Daily…) un certain Li Guangman s’en est pris aux deux stars : « en plus de Zhao Wei, qui aurait dû disparaître de la vie publique il y a 20 ans déjà (…) il y a un autre Américain, Gao Xiaosong. Ses émissions ont été diffusées sur internet et à la TV depuis trop longtemps. Il raconte n’importe quoi sur l’histoire, voue un culte à l’Amérique, et a dupé un groupe de Chinois pour qu’ils deviennent ses fans ». L’auteur nationaliste ajoute : « l’opinion publique ne sera plus en position de vénérer la culture occidentale ».
Au-delà de ces attaques idéologiques, un point commun intriguant existe entre Zhao et Gao : leurs liens avec Jack Ma, le fondateur d’Alibaba en disgrâce. La businesswoman et son mari seraient devenus actionnaires d’Alibaba Pictures en 2014 tandis que Gao Xiaosong est l’ancien cofondateur d’Alibaba Music. Autre élément pointant dans la direction du Zhejiang, où le géant du e-commerce a son siège : la chute simultanée du secrétaire du Parti de Hangzhou, Zhou Jiangyong.
Comme pour illustrer ces liens « malsains » entre les membres du show-business et « le grand capital », une carte révélant les relations d’affaires entre différentes personnalités (cf photo) a fait le tour de la toile, laissant les internautes étourdis par la complexité de ces réseaux (d’initiés). « Ils fondent tous leurs propres entreprises puis deviennent leurs actionnaires respectifs », a commenté un utilisateur de Weibo.
Sous cette lumière, cette campagne de « rectification morale » dans le secteur du divertissement permet au leadership de faire d’une pierre deux coups, en démantelant certains groupes d’intérêts cachés.
Dans un entretien publié sur le site de la redoutable commission centrale de l’inspection de la discipline (CCID), le chercheur Jiang Yu justifie cette reprise en main : « la littérature et les arts sont un important champ de bataille de la pensée et de l’idéologie… Si on autorise l’expansion désordonnée du capital dans le monde littéraire et artistique, cette activité va perdre sa fonction initiale, qui est de servir le peuple et le socialisme ». Tout est dit ! Mais gare aux dérives …
1 Commentaire
severy
6 septembre 2021 à 19:04Ainsi, une fois de plus, petit à petit, le noeud se resserre.