Pour cette troisième édition des « French Insiders », l’équipe French Tech Beijing présidée par Jean Dominique Séval recevait Maxime Finet, qui a rejoint il y a plus de sept ans le département fusions-acquisitions de CITIC Securities, filiale spécialisée de CITIC group, le plus ancien et important groupe financier du pays. Héléna Javitte, vice-présidente de French Tech Beijing, a interrogé Maxime sur ce qu’il retenait de cette expérience rare d’un français plongé au cœur du système financier chinois.
Comment décririez-vous votre métier, tel que vous l’exercez ici à Pékin, à la lumière de votre expérience occidentale ?
Il y a en effet de nombreuses spécificités, qui m’ont beaucoup surpris au début.
Il faut garder en mémoire que le système financier chinois « de marché » a seulement trente ans d’existence, ce qui est très récent lorsqu’on le compare aux places de Paris, Londres ou New York. Ainsi, les gens qui pilotent aujourd’hui les entreprises privées, même grandes et cotées, sont encore les fondateurs, ce qui est rarement le cas à l’Ouest où les dirigeants sont des managers formés dans des MBAs et mandatés par les assemblées d’actionnaires. Cela crée une relation avec les banquiers particulière sur 2 niveaux.
D’abord, le banquier qui coordonne la cotation de l’entreprise sur le marché est l’artisan de la fortune du fondateur. Il se crée donc une proximité personnelle très forte entre l’entrepreneur et le banquier de l’IPO, qui restera le prestataire de services indétrônable pour la grande majorité des opérations financières de l‘entreprise. Aussi, les fondateurs, qui connaissent parfaitement les secteurs qu’ils ont dans un certain sens créés, attendent moins de leur banquier des conseils stratégiques qu’une aide technique pour créer les instruments financiers nécessaire à leur développement, qui plus est dans un système où la régulation est bien plus centrale et évolue bien plus vite qu’en Occident. C’est donc plus un rôle de conseiller en régulation qu’un expert de valorisation et négociation comme cela l’est en Occident.
A quels challenges personnels avez-vous été confrontés ?
Ils sont très nombreux ! Je travaille au sein d’une SOE (State-owned enterprise), directement contrôlée par l’Etat. Une des caractéristiques des SOE est un accent très fort mis sur le contrôle des risques et une bureaucratie interne polycéphale. Le travail de reporting, en langue chinoise, est donc volumineux et souvent redondant.
Si mon statut d’étranger m’a valu bien des traitements de faveurs dans les premiers temps, ceux-ci s’estompent et il faut finalement se mettre au régime local…
Mais c’est sans doute les qualités d’adaptation qui sont les plus importantes. Il ne suffit pas d’apprendre à parler mandarin, il faut également savoir décrypter les attitudes. Par exemple, concernant le style de management, on ne doit pas s’attendre à des retours constructifs sur le travail fait. Il faut comprendre par soi-même, à travers les compliments polis, les signaux envoyés par ses supérieurs et ses pairs, et être capable de s’améliorer seul.
De plus, la concurrence ne vient pas seulement de l’extérieur. Le management « à la chinoise » organise souvent une constante compétition en interne. Tous les collaborateurs sont des concurrents en puissance, ce qui est censé émuler la performance et rendre visible l’émergence des plus talentueux. Le contrepoint de ce type d’organisation est que, au-delà des slogans, la coopération s’avère difficile et ne fait pas réellement partie de la culture d’entreprise.
Enfin, quels sont les quelques conseils que vous donneriez à un nouvel arrivant en Chine ?
C’est toujours difficile de donner des conseils car chaque expérience est unique. Mais voici ce qui me semble important de mettre en pratique pour travailler le plus sereinement possible et obtenir des résultats :
-identifier ses « avantages comparatifs », c’est-à-dire trouver en soi-même ce qui vous distingue, que les collègues n’ont pas et auront du mal à imiter ;
-prendre le temps d’entretenir des relations cordiales avec les collègues, se plier aux « smalls talks » et au jeu des politesses et compliments. L’important n’est pas d’être honnête et direct, mais plutôt d’être agréable et arrangeant pour préserver l’« harmonie » ;
-essayer de comprendre comment vos collègues peuvent percevoir un problème, imaginer qu’il y a des éléments en arrière-plan dont vous n’avez pas connaissance et agir prudemment, permet d’éviter de nombreux faux pas !
Sommaire N° 28-29 (2021)