Jusqu’à hier encore, « l’Empire du Milieu » aurait pu être surnommé « l’Empire des cryptos ». Fin 2016, 99% des transactions mondiales en bitcoin (比特币, bǐ
C’était avant que Pékin ne décide de bannir toute plateforme d’échanges et levées de fonds sur son territoire en 2017, préoccupé par le risque de blanchiment d’argent et de fuite des capitaux. Le gouvernement chinois n’est pourtant pas allé jusqu’à interdire la possession de crypto-devises, ni leur extraction. C’est en train de changer à vitesse grand V.
Le 18 mai, trois fédérations bancaires soutenues par le gouvernement, ont rappelé aux institutions financières qu’elles ont interdiction depuis 2013 de proposer à leurs clients tout service lié aux crypto-devises, qualifiées d’actifs « très spéculatifs ».
En réaction au krach mondial des cryptos mi-mai, en partie provoqué par le volte-face du fondateur de Tesla, Elon Musk, le vice-premier ministre Liu He s’est inquiété de la volatilité du bitcoin et consorts. Dans un communiqué conjoint avec le Conseil d’État, le dirigeant a déclaré le 21 mai qu’il faut « limiter la transmission de risques individuels à l’échelle de la société », préconisant de réprimer « échanges et activités de minage ».
Seul hic : la Chine réalise 65% du minage de bitcoins dans le monde. Cette activité, qui consiste à valider les transactions sur un réseau « blockchain » par un calcul mathématique, est extrêmement gourmande en électricité. Elle engloutirait déjà 1% de la production électrique chinoise. Le minage de cryptos est donc incompatible avec les ambitieux objectifs de neutralité carbone du pays, dont l’énergie provient encore majoritairement du charbon.
Dernière de la classe en matière environnementale et à nouveau ciblée par la campagne anti-corruption, la Mongolie-Intérieure tente de se rattraper en interdisant depuis fin avril le minage sur son sol, couplé à une promesse de sévères sanctions (mise sur liste noire, révocation de licence, voire de la prison…) à tous ceux qui viendraient contrevenir à cette interdiction, qu’ils soient des parcs industriels, des compagnies télécoms, des firmes internet, des cyber-cafés ou de simples « geeks »… Dans la ville de Baotou, une hotline a même été mise en place pour permettre aux habitants de dénoncer toute « ferme » clandestine ou déguisée en « data center ».
Au Sichuan, seconde terre d’accueil des fermes à bitcoin en Chine, les autorités sont plus mitigées… La province est plébiscitée par les mineurs qui y rachètent à bon prix le surplus électrique des barrages de la région, particulièrement abondant durant la saison des pluies. Après concertation avec les fournisseurs d’électricité début juin, le gouvernement provincial s’est simplement contenté de demander aux mineurs de faire leurs valises en septembre, après avoir profité une dernière fois de l’été…
Le Yunnan, autre province riche en énergie hydroélectrique et 4ème région préférée des mineurs chinois, n’a pas été aussi clément et leur a laissé jusqu’à la fin juin pour plier bagages.
Quelques jours plus tôt, le Qinghai, 9ème région chinoise pour le minage de cryptos, a également interdit cette activité, en guise de preuve de sa bonne volonté au lendemain de la visite d’inspection du Président Xi Jinping, fan de la technologie « blockchain », mais beaucoup moins des cryptos…
À présent, tous les regards se tournent vers le Xinjiang, région riche en charbon et qui héberge 36% de la puissance mondiale de calcul (le « hashrate »). Avec six autres provinces, le « Far-Est » chinois a été réprimandé par Pékin pour ne pas avoir réussi à atteindre ses objectifs de réduction de son intensité énergétique – un avertissement similaire à celui adressé à la Mongolie-Intérieure l’an passé… Si Urumqi adopte des mesures aussi strictes que Hohhot, les mineurs chinois n’auront nulle part où aller en « saison sèche » et n’auront d’autre choix que de délocaliser à l’étranger. Parmi les destinations envisagées, l’Amérique du Nord, l’Asie Centrale ou encore l’Europe de l’Est.
Tous ces signaux laissent entrevoir un consensus au sein de l’État pour mettre à la porte les mineurs de bitcoin, laissant l’initiative aux provinces, du moins pour l’instant… Pékin pourrait être tenté de faire place nette avant la mise en circulation de sa propre monnaie numérique souveraine, sur laquelle travaille la Banque Centrale chinoise depuis 2014. Même si aucune date officielle de lancement n’a été donnée, le yuan digital est déjà testé dans plusieurs villes depuis près d’un an, et devrait être mis à l’épreuve pendant les Jeux olympiques d’hiver de Pékin en février 2022.
Sommaire N° 22-23 (2021)