Petit Peuple : Qidong (Hunan) – Le paradis inventé de Fu Daxin (2ème partie)

Qidong (Hunan) – Le paradis inventé de Fu Daxin (2ème partie)

Vieux garçon au village, et le plus pauvre de tous, Fu Daxin a décidé de saisir par les cornes le taureau de sa misère

Une fois sa décision prise, en août 2008, Fu Daxin réfléchit. Aller en tôle, se faire prendre en charge par l’État, c’était tentant. Mais pour que cela fonctionne, il fallait choisir un endroit où l’on prenait la loi au sérieux, pour être sûr d’être bien traité par la police : il lui fallait Pékin, rien de moins. Il ne s’agissait pas de se laisser « attraper dans la nasse du ciel ou de la terre » (天罗地网, tiān luó dì wǎng), et de sacrifier sa liberté sans nul bénéfice !

Mais là-bas, la vie était chère ! Un simple repas, même frugal, y coûterait un mois de sa survie ici au village. Une fois sur place, il conviendrait donc de ne pas perdre une journée et de se mettre sans retard à l’ouvrage. Et puis, à Pékin, comment y arriver ? Le billet depuis Changsha, pour 1800km de chemin de fer, coûterait 210 yuans, dont il n’avait pas le premier sou vaillant. Il n’avait que de quoi atteindre Wuhan : il prit l’omnibus en 3ème classe, 360km en 7 heures, avec pour tout bagage un vieux caddie.

Dès son arrivée dans cette capitale du Hubei, il arpenta les rues, guettant les sorties de bars en quête de cannettes vides, qu’il écrasait et stockait dans son caddie. Après quelques heures, le caddie plein, il s’en allait vendre cet aluminium au récupérateur, à un « mao » la boîte. De la sorte en deux jours, il avait suffisamment dans son escarcelle pour poursuivre sur Hefei (Anhui). Poursuivant son manège, il récoltait là le prix du billet pour Shijiazhuang (Hebei) à 900km. Il dormait sous les alcôves ou dans les terrains vagues, et se nourrissait des rebuts des restaurants – peu appétissants, mais plus nutritifs que son ordinaire à Qidong… C’est ainsi que le 23 août 2008, il arriva en gare centrale de Pékin, ayant bouclé son périple en 10 jours.

À l’entrée de la gare, il extirpa de sa poche un grossier couteau et se mit à suivre un policier ferroviaire, s’apprêtant à le menacer de la voix et de la main. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Dans la force de l’âge, l’homme marchait plus vite que lui ! Après 50 mètres, Fu Daxin dut s’arrêter hors d’haleine, semé.

Cherchant du regard une autre victime autour de lui, il vit une voyageuse plutôt bien mise, sortant de son sac copie Vuitton trois billets de 100 yuans, évidemment pour faire quelques achats. C’était elle qu’il lui fallait. Mais novice dans l’art du brigandage, il se fit immédiatement repérer par son regard anormal. Elle s’enfuit à pas rapide : encore raté !

Perdant la tête, il dévisagea alors une étudiante en survêtement pourtant évidemment désargentée, une cible donc bien improbable. Il se jeta sur elle, mais elle se dégagea sans effort, observant, médusée, ce vieillard à bout de souffle, incapable de faire du mal à une mouche. C’est alors qu’en haletant, il lui avoua tout : « écoute, petite sœur, je dois aller en prison, me faire arrêter… je t’en supplie, crie ‘au voleur’ ! ». Et c’est presque par charité qu’elle se prêta au jeu, hurlant l’appel en souriant.

Enfin, il avait gagné ! Alertés par les cris, une demi-douzaine de sbires déboulèrent, lui passèrent les menottes. Suivit au bloc l’interrogatoire. Sa chance fut que leur quota d’arrestation n’était pas atteint : contre toute vraisemblance, ils confirmèrent qu’il était un pickpocket écumant la gare !  

15 jours plus tard, un juge surmené lui colla à l’aveuglette 24 mois fermes, à Fengtai, taule spécialisée en petits délits.

Enfin à pied d’œuvre à son nouveau home sweet home, Fu Daxin nullement déçu par son paradis réinventé, prit du bon temps : à 70 ans, pour la première fois de sa vie, il goûtait trois repas chauds par jour, servis en cellule. Ayant passé la limite d’âge, il était exempté de travail. Toute la journée, il était libre pour lire, s’exercer à la calligraphie dans les couloirs (avec le balai-serpillière) ou jouer aux échecs chinois. 18 mois plus tard, son bonheur fut obscurci par une libération anticipée, due à son comportement exemplaire de prisonnier modèle.

Allait-il replonger dans la disette ? Non ! Car entre-temps, son cas avait fait parler de lui. À sa sortie, l’attendait une prime annuelle de 9360 yuans (soit 1500 euros). Et surtout, sa famille lointaine, montrée du doigt, s’était tardivement décidée à le soutenir afin de faire taire les critiques. Son neveu, fils de sa sœur Yiji, allait lui bâtir une maison grossière, mais efficace, avec 26.000 yuans de matériaux payés par l’État et 70.000 yuans par les siens. Avec l’argent qui lui reste, il vit presque bien. 

Il ne lui reste qu’un souci, celui de ses funérailles. L’État lui garantit certes une crémation décente, mais ce qu’il voudrait, c’est un artiste pour composer un opéra chinois, sur l’aventure de sa vie, à jouer une fois par an sur la scène antique de son village. Pour la population, ce serait un renouvellement du répertoire, et pour une fois, une véritable histoire de chez nous. Et pour Fu Daxin, ce serait une consécration : la postérité locale découvrirait son courage et son imagination, pour rappeler comment il s’y est pris pour flouer le destin. Et vu sa notoriété, son histoire venant de faire le tour du pays, Fu Daxin pourrait fort bien voir son rêve se réaliser ! 

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