Après Alibaba, c’est au tour de Meituan, le spécialiste de la livraison de repas à domicile, d’être dans le collimateur de l’autorité anti-trust.
Sans même attendre la fin du décompte de 30 jours accordé le 12 avril aux firmes de la tech pour « rectifier » leurs pratiques, l’Administration d’État de Régulation des Marchés (SAMR) a annoncé le 26 avril ouvrir une enquête pour pratiques anti-concurrentielles à l’encontre de Meituan, dont le géant Tencent possède 17,7%.
La plateforme aux 4,7 millions de livreurs vêtus de jaune, est accusée d’avoir imposé des accords d’exclusivité aux restaurateurs (le fameux « èrxuǎnyī », 二选一) pour qu’ils refusent de travailler avec son compétiteur, Ele.me (casaques bleues), détenu par Alibaba.
Cette nouvelle mise sous enquête vient confirmer que Alibaba ne sera pas la seule cible de la reprise en main des géants de la tech orchestrée par Pékin. Son grand rival Tencent devrait d’ailleurs recevoir une amende conséquente (autour de 10 milliards de yuans cumulés) pour n’avoir pas correctement déclaré ses acquisitions passées (notamment musicales) à la SAMR.
Selon la loi anti-trust, Meituan risque une amende pouvant aller jusqu’à 10% de son chiffre d’affaires annuel. Alibaba lui, s’est vu taxé de 4% de son revenu de 2019, soit 18,2 milliards de yuans. Si Meituan écope de la même peine qu’Alibaba, l’amende s’élèverait à 4,6 milliards de yuans.
La sévérité du verdict dépendra de nombreux facteurs : de la volonté de coopérer de Meituan aux preuves dont dispose la SAMR. À sa décharge, Meituan jouit d’une profitabilité moindre que celle d’Alibaba, et son fondateur, Wang Xing, n’a pas provoqué publiquement les régulateurs comme l’a fait Jack Ma…
Dans tous les cas, comme pour Alibaba et Tencent, cette amende, aussi salée soit-elle, n’aura qu’un impact limité sur le leader de la livraison de repas, qui détient déjà plus de deux tiers du marché. Pour les régulateurs, il s’agit de dompter « l’économie de plateforme », pas de la tuer.
Pour autant, différents signes laissent penser que Meituan ne devrait pas s’en sortir si facilement. Le fait que le Président Xi Jinping en personne, promette de « protéger les intérêts légitimes des routiers, des coursiers, et des livreurs de repas », au lendemain de l’annonce de l’ouverture de l’enquête sur Meituan, ne présage rien de bon…
24h plus tard, une vidéo réalisée incognito par l’un des directeurs adjoints du bureau des affaires sociales de Pékin (cf photo), dénonçait les conditions de travail harassantes des livreurs employés par Meituan. En une journée, le cadre n’a gagné que 41 yuans pour cinq courses. « Avant, je me demandais pourquoi les livreurs acceptaient autant de commandes, maintenant je comprends ! S’ils veulent gagner leur vie, ils n’ont pas le choix », se désolait le vice-directeur Wang, qui a enchaîné par une enquête auprès des chauffeurs de Didi Chuxing.
Si les efforts de terrain du cadre ont été salués par les internautes, ces révélations ont choqué le grand public et poussé Meituan et son concurrent, Ele.me à s’excuser et à promettre de revoir leurs pratiques. Un mea culpa qui rappelle celui fait suite à la polémique provoquée par un long reportage sur l’algorithme « diabolique » qui rythme la cadence des livreurs, publié par le magazine « People » (人物) en septembre 2020.
Le directeur adjoint n’est pas le seul à dévoiler les réalités du métier de livreur de repas. Un véritable employé de Ele.me se trouve derrière les barreaux depuis février pour avoir créé une alliance entre livreurs et dénoncé leur situation précaire sur internet. Il risque cinq ans de prison pour avoir « troublé l’ordre public ». Si les autorités sont bien conscientes des difficultés de ces travailleurs payés à la tâche, c’est surtout la menace que représente leur mécontentement pour la stabilité sociale, qui les inquiètent. Et il n’est pas question de tolérer le moindre syndicalisme. Le gouvernement va préférer régler le problème à sa manière, en s’assurant du soutien de l’opinion publique, en punissant les firmes coupables sans trop impacter l’économie, voire en procédant à certains ajustements réglementaires si nécessaire.
Sommaire N° 17 (2021)