« Les logements sont faits pour y vivre, pas pour spéculer » (房子是用来住的、不是用来炒的定位). C’est le message que martèle le Président Xi Jinping depuis décembre 2016, bien conscient des dangers que représente un marché immobilier chauffé à blanc.
Pourtant, la reprise économique chinoise a largement reposé sur l’immobilier, et les prix s’en ressentent, surtout dans les villes de premier rang. À Pékin, Shanghai, Canton et Shenzhen, le prix moyen des logements a augmenté de 1,3% pour le seul mois de janvier. Dans la « perle de l’Orient », il a bondi de 10,3% (à 42 400 yuans le prix moyen du mètre carré) en 2020 – la plus forte hausse du pays – et de 3,2% pour les appartements neufs (à 55 800 yuans le m2). Dans d’autres villes, les prix flambent aussi : c’est le cas de Hefei, Ningbo, Dongguan, et Nantong. Cette envolée leur a valu un avertissement du ministère du Logement : « les gouvernements locaux ne doivent pas se reposer sur l’immobilier pour stimuler l’économie post-Covid-19 ».
Pour freiner les prix, les villes de premier rang se sont donc décidées à introduire de nouvelles règles. À Shanghai, il est désormais interdit aux agences immobilières de présenter des biens comme « proches des écoles ». En effet, devenir propriétaire – que ce soit d’une chambre de bonne ou d’un T5 – permet de décrocher une place dans un établissement scolaire voisin, ce qui a conduit à une forte hausse des prix dans les quartiers où se situent les meilleures écoles.
Les municipalités partent aussi à la chasse aux « faux divorces », pratique courante pour contourner les restrictions à l’achat, chaque époux ne pouvant posséder qu’un seul appartement. Selon la nouvelle réglementation, les personnes divorcées devront attendre trois ans avant de pouvoir acheter un nouveau bien immobilier. Une mesure qui a eu l’effet d’un tranquillisant sur le fiévreux marché shanghaien : les ventes ont chuté de 26% la semaine suivant l’annonce…
Au niveau central, l’État vient de mettre en place un système « centralisé » des ventes de terrain – ou plutôt des droits d’utilisation du sol, puisque les terres appartiennent légalement toujours à l’État – qui va contraindre les municipalités à n’organiser que trois ventes aux enchères par an. Canton, qui vient d’enregistrer la plus forte hausse (+3,47%) de ses prix de l’immobilier durant les trois premiers mois de 2021, sera la première ville du pays à expérimenter ce nouveau système d’enchères. 21 autres villes devront également l’adopter. Pékin part du principe que la réduction de la fréquence de ces ventes va permettre aux promoteurs immobiliers d’être plus sélectifs sur les terrains qu’ils convoitent et donc d’éviter les habituelles surenchères qui font grimper les prix. Une logique contestée par certains analystes, qui argumentent que les lotisseurs se battront toujours pour les meilleurs terrains, et donc qu’il n’y a aucune garantie que le prix final soit plus bas…
Du côté des promoteurs, les régulateurs – en pleine chasse aux risques financiers – leur ont imposé trois plafonds encadrant leurs ratios d’endettement par rapport à leur trésorerie, à leurs actifs, et à leurs capitaux propres. En fonction du nombre de « lignes rouges » que les promoteurs dépasseront, ils se verront attribuer une couleur : vert, orange, jaune ou rouge. Une décision qui a provoqué une onde de choc dans l’industrie fin 2020, mais surtout chez le deuxième prometteur du pays Evergrande, notoirement endetté (835 milliards de yuans). Néanmoins, le groupe cantonais a annoncé pouvoir réussir à réduire son endettement au niveau requis par l’État d’ici 2023.
L’outil miracle pour freiner cette fièvre spéculatrice serait de mettre en place une taxe foncière. Elle aurait un effet dissuasif sur les investisseurs tout en fournissant un revenu complémentaire aux gouvernements locaux, qui se financent en grande partie sur les ventes de terrain. Cependant, ce projet a encore été retardé par l’État, entrant en contradiction avec la stratégie de « circulation duale », qui ambitionne d’augmenter la part de la consommation nationale dans l’économie.
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Marasme immobilier dans les petites villes
A l’inverse de la tendance haussière des grands hubs du pays, dans les villes de troisième, quatrième, voire de cinquième rang, le prix de l’immobilier est à la baisse. Il est tiré vers le bas par des perspectives d’emploi et de développement moroses, ce qui oblige les travailleurs à migrer vers les grandes villes pour espérer se faire embaucher. La pandémie n’a fait qu’accélérer cette tendance. Trois millions de petites entreprises chinoises ont mis la clé sous la porte l’an dernier à cause du virus. Et même si les exportateurs ont repris des couleurs ces derniers mois, les marges ne sont plus aussi importantes qu’avant…
En 2020, 26 des 70 villes (grandes et moyennes) du pays ont vu leurs prix de l’immobilier baisser, contre 16 en 2019, et une seule en 2018. Et le problème pourrait être encore plus important puisque les 3000 petites villes – qui représentent 40% de la population – ne sont pas inclues dans ce décompte. Plus inquiétant, ce coup de froid pourrait se répandre aux villes de troisième, voire de second rang, notamment dans le nord du pays, comme Tianjin, Jinan, Qingdao, Shijiazhuang, qui ont vu leurs prix réduits d’au moins 3% l’an dernier…
À travers ce bilan foncier hétéroclite, c’est une reprise économique chinoise à plusieurs vitesses qui s’illustre, marquée par des disparités croissantes entre les mégalopoles et les petites villes, entre les régions côtières et celles de l’intérieur, mais aussi entre le nord et le sud du pays.
Sommaire N° 15 (2021)