Royaume incontesté des mines à bitcoin (BTC), la Chine pourrait voir ses objectifs climatiques compromis par cette activité très gourmande en électricité.
Depuis des années, le pays entretient une relation ambiguë avec la « mère des cryptomonnaies ». Dès 2013, de nombreux opérateurs télécoms, géants de l’internet et commerces se sont mis à accepter les bitcoins (比特币, bǐtè bì) en guise de paiement, avant que Pékin ne décrète ses premières restrictions à l’encontre de cette cryptodevise. Cela n’a pas empêché les investisseurs chinois de se ruer sur cet « or digital ». Fin 2016, 99% des transactions en BTC provenaient de Chine. C’est ce succès qui a poussé la Banque Centrale chinoise à réfléchir au lancement de son propre yuan digital, en cours d’expérimentation aujourd’hui.
Préoccupées par le risque de blanchiment d’argent et de fuite de capitaux, les autorités ont finalement mis le holà sur le bitcoin en 2017, interdisant tous les échanges en cryptomonnaies et les ICO (Initial Coin Offering). Malgré cela, les Chinois ont encore sorti 17,5 milliards de $ de Chine en 2020 grâce aux cryptodevises (+53% par rapport à 2019), posséder des bitcoins n’étant pas illégal dans le pays.
Seul pan de l’industrie encore épargné par Pékin, le minage est désormais dans la ligne de mire des autorités. En avril 2019, la tutelle de l’économie (NDRC) a menacé de placer cette activité sur la liste de 450 industries polluantes à éliminer au plus vite…
En effet, 79% des transactions mondiales en bitcoin sont « authentifiées » par des mines chinoises. Le pays abrite aussi Bitmain et Canaan, leaders chinois dans le matériel informatique destiné au minage de cryptomonnaies, côtés au Nasdaq.
Le minage est la base de la technologie « blockchain », sur laquelle reposent toutes les cryptomonnaies. L’activité – très lucrative, rémunérée en bitcoins – consiste à effectuer des calculs mathématiques complexes à l’aide d’ordinateurs tournant 24h/24 pour « vérifier » les transactions. Ces calculs étant de plus en plus complexes, le minage est de plus en plus énergivore. C’est pourquoi la majorité des mines sont installées dans des régions où le prix de l’électricité est particulièrement bas, rachetant souvent le surplus électrique des compagnies locales. 40% des mines à bitcoin seraient alimentées par des centrales à charbon.
Selon une étude publiée dans le magazine Nature menée par le professeur Guan Dabo de l’université Tsinghua à Pékin, si la Chine n’agit pas, le minage de bitcoins pourrait continuer de prendre de l’ampleur avant d’atteindre son pic en 2024. À cette échéance, les mines chinoises consommeront annuellement 297 milliards de kilowattheures – c’est plus que l’Italie en 2016 – et généreront 130 millions de tonnes d’émissions de CO2 – soit l’équivalent des émissions de gaz à effet de serre de l’Arabie Saoudite, troisième producteur mondial de pétrole. D’ici trois ans, l’empreinte carbone du minage représentera 5,4 % du total des émissions dues à la production électrique en Chine.
Pour lutter contre cette industrie, les chercheurs recommandent aux autorités d’accentuer les inspections de ces fermes à bitcoin. Ces visites ont pour objectif d’identifier les mines qui profitent de politiques gouvernementales préférentielles et de tarifs électriques avantageux. Des contrôles qui conduisent souvent les mineurs à déménager dans des provinces alimentées par l’hydroélectrique ou par les énergies renouvelables, telles que le Sichuan, le Yunnan ou encore le Guizhou.
Déjà, la Mongolie-Intérieure, seule région du pays à avoir raté ses objectifs en matière d’intensité énergétique en 2019, a annoncé bannir le minage d’ici fin avril. Cette nouvelle a fait l’effet d’un mini-séisme dans le monde du bitcoin puisque la région héberge 8% de la puissance de calcul nécessaire au fonctionnement de la blockchain mondiale – c’est plus que la puissance cumulée dédiée à cette technologie aux États-Unis.
Ce ban régional sonnerait-il le glas de l’activité de minage en Chine ? Difficile à dire… Ce qui est sûr, c’est qu’une fois que les provinces auront défini leurs propres objectifs en matière de neutralité carbone, les mines à bitcoin ne seront officiellement plus les bienvenues nulle part en Chine, ces projets polluants ne contribuant pas suffisamment à l’économie locale, notamment en termes d’emploi, par rapport à leurs profits réels (les marges peuvent être de 90%).
Ainsi, même si une interdiction pure et simple des activités de minage en Chine n’est pas à exclure, il est plus probable que les mineurs soient progressivement raccompagnés la porte, au nom de l’écologie.
Sommaire N° 14 (2021)