L’année 2020 a débuté avec une épidémie, elle se terminera par un vaccin. Dans cette course à l’inoculation, la Chine avait l’avantage d’être la première sur la ligne de départ, mais a été ralentie par le manque de cas de Covid-19 sur son territoire, la forçant à délocaliser ses essais cliniques (Argentine, Égypte, Jordanie, Maroc, Pérou, Russie, Arabie Saoudite, Brésil, Chili, Turquie…).
À l’inverse de certains vaccins occidentaux de technologie innovante (ARN), les deux candidats de chez Sinopharm et celui de chez Sinovac utilisent un « virus inactivé », le procédé historique pour concevoir un vaccin, mieux connu et donc réputé plus sûr. Cependant, Gao Fu, le directeur du CDC national, mettait en garde en septembre contre un phénomène de « facilitation de l’infection par des anticorps » (ADE), durant lequel les anticorps trahissent leur mission et aident le virus à se répliquer. Le scientifique ajoutait : « les vaccins inactivés sont plus prônes à ce genre de réaction que ceux basés sur la séquence génétique ».
Celui de CanSino lui, a recours à la même méthode que celui d’Oxford/AstraZeneca, dit à « vecteur viral » – une technique qui a contribué à mettre un terme à l’épidémie d’Ebola.
Avantage logistique de taille, les quatre vaccins expérimentaux chinois peuvent être transportés entre 4°C et 8°C, ce qui n’est pas le cas du vaccin germano-américain de Pfizer/BioNTech et de l’américain Moderna, nécessitant des températures extrêmes (de -20°C à -70°C). Ce faisant, les candidats chinois s’alignent sur la stratégie de leur gouvernement, qui ambitionne d’exporter des doses par millions, en Asie (pays du Mékong notamment), en Afrique et en Amérique du Sud. Mi-novembre, près de 500 millions de doses de vaccins chinois étaient déjà précommandées.
Lancée dans une course contre la montre, la Chine aurait donc donné son approbation pour une utilisation d’urgence dès fin juillet, avant même de recevoir les résultats de la dernière phase des essais cliniques à l’étranger. Conscientes du risque de polémique, les autorités ont mis plus d’un mois avant de reconnaître que la vaccination d’urgence avait déjà commencé. Pour justifier cet empressement, la Chine a mis en avant le fait que les personnels à risques (médecins, infirmières, militaires, diplomates, douaniers…) ne pouvaient pas se permettre d’attendre. Le virus est pourtant sous contrôle dans le pays depuis l’été.
Depuis lors, quiconque en Chine, en partance pour l’étranger ou non, peut facilement recevoir une dose. Fin novembre, Sinopharm annonçait avoir vacciné plus d’1 million de personnes. Officiellement, aucun effet secondaire grave n’a été observé. Pour gagner du temps, le groupe pharmaceutique aurait sollicité dans la foulée une autorisation de mise sur le marché. Un feu vert des autorités en ferait le premier vaccin accessible au public en dehors de Russie.
En vaccinant à tour de bras sa propre population, Pékin veut démontrer que ses vaccins sont sûrs. Cela dit, le manque de communication sur les résultats de ses essais cliniques à l’étranger, comme sur ceux de son programme d’urgence, pourrait s’avérer contreproductif. L’exemple le plus récent est celui des Émirats arabes unis : mis à part les 86% d’efficacité avancés pour l’un des vaccins de Sinopharm, très peu d’informations ont filtré… La firme s’estime toutefois capable de produire 100 millions de doses d’ici la fin de l’année, et d’augmenter sa capacité à 1 milliard en 2021.
De son côté, Sinovac devrait être en mesure de doubler sa capacité annuelle de production à 600 millions de doses d’ici la fin de l’année grâce à un second site de fabrication. Malgré le manque de détails sur les résultats des essais (attendus courant janvier), la firme a déjà envoyé 1,2 million de doses en Indonésie, suffisamment pour vacciner 600 000 personnes. D’après les données préliminaires publiées au Lancet, le vaccin de Sinovac produirait un niveau d’anticorps moins important qu’une personne ayant guéri de la Covid-19.
À travers ces vaccins, c’est la réputation de l’industrie pharmaceutique chinoise qui est en jeu. Tous les Chinois se souviennent des récents scandales de vaccins périmés et de corruption… Néanmoins, l’impatience du public et un certain sentiment nationaliste semblent prévaloir sur ces craintes. Reste à voir si les fabricants sauront surmonter leurs vieux démons pour produire rapidement et en toute sécurité des millions de doses, non seulement pour la Chine, mais aussi pour le monde entier, le moindre incident pouvant compromettre cette « diplomatie du vaccin »… Si la stratégie réussit, ce sera une façon pour la Chine de parer aux critiques sur sa gestion de l’épidémie, de redorer son image à l’international mais aussi d’accroître son influence.
1 Commentaire
severy
13 décembre 2020 à 20:47Il serait intéressant de savoir si les membres du Parti pourront se faire vacciner en priorité et si les membres les plus importants du pouvoir attendent prudemment les résultats du troisième stage des essais cliniques sur cobayes humains pour se faire vacciner à leur tour.
À propos, qui sont ceux qui ont été vaccinés lors des premier et deuxième stages?