Les « nouvelles routes de la soie » auraient-elles été désertées depuis la pandémie ? Des chercheurs de l’université de Boston constatent en fait que le coup de frein porté aux financements des projets de l’initiative Belt & Road (BRI) est antérieur à la Covid-19.
En 2019, sur fond de ralentissement économique et de guerre commerciale avec les États-Unis, les prêts accordés par les deux grandes banques de développement, la China Development Bank (CBD) et l’Ex-Im Bank, n’étaient que de 4 milliards de $. C’est très peu par rapport aux 76 milliards de $ accordés en 2016, âge d’or des financements BRI.
Avant même la Covid-19 et l’officialisation de la stratégie de circulation duale visant à faire de l’investissement et de la consommation les premiers moteurs de l’économie chinoise plutôt que les exportations, Pékin avait donc déjà décidé de freiner ses financements à l’étranger et de redonner la priorité à son marché domestique.
La pandémie n’a fait qu’accélérer le désengagement chinois. Sur les neuf premiers mois de l’année, le nombre de contrats signés par les firmes chinoises a chuté de 29% et leur valeur de 17,5% par rapport à 2019, selon les données officielles du ministère du Commerce. En juin dernier, le ministère des Affaires étrangères rapportait que 40% des projets BRI ont été « légèrement » perturbés par la Covid-19, 40% « défavorablement » impactés, et 20% « sérieusement » affectés par la pandémie.
Depuis le début de l’année et pour différents motifs, les projets autour du corridor économique entre la Chine et le Pakistan (CEPC) sont à l’arrêt. La ligne ferroviaire entre Jakarta et Bandung (Indonésie) fait face à d’importants retards tandis que le projet de port en eaux profondes à Malacca (Malaisie) a été simplement annulé. Dans un contexte tendu entre Canberra et Pékin, le Parlement australien vient d’adopter une loi autorisant le gouvernement à opposer son véto à des projets (BRI) conclus entre ses huit États et Territoires et la Chine.
C’est loin d’être la première controverse autour des projets BRI. Différents scandales ont émergé autour de la surfacturation des chantiers – une pratique dénoncée par la Malaisie, mais aussi par l’allié pakistanais. Selon le cabinet d’expertise Rhodium, un dollar sur quatre prêté dans le cadre de la BRI a fait l’objet d’une renégociation, soit 94 milliards de $. Depuis la pandémie, 18 demandes de renégociations de dette émanant de 12 pays ont eu lieu, portant sur un total 28 milliards de $ de prêts.
D’après Michael Pettis, professeur de finance à l’université de Pékin, le gouvernement chinois aurait sous-estimé les risques, par manque d’expérience en crédit international, notamment dans les pays en développement. La Chine n’est toutefois pas la première à tomber dans cet écueil : les États-Unis dans les années 20, l’URSS dans les années 50-60, le Japon dans les années 70-80 en ont également fait l’amère expérience… « Cela fait partie des leçons que la Chine doit tirer en tant que puissance montante, commente Jonathan Hillman, du think tank CSIS. La question est : la Chine sera-t-elle capable d’accéder aux demandes de renégociation des pays emprunteurs ? Si ce n’est pas le cas, elle risque de se retrouver au centre d’une crise de la dette majeure ».
Selon un think tank pékinois, l’Overseas Development Institute (ODI), le gouvernement chinois a réalisé que les projets BRI ne pouvaient plus être guidés par les intérêts des firmes chinoises et des élites locales, au détriment de ceux du pays emprunteur dont la dette augmente dangereusement. Désormais, la priorité ne sera plus à l’accroissement de l’influence de la Chine hors frontières, mais plutôt à la viabilité commerciale des projets et leur soutenabilité environnementale.
En effet, en prenant des engagements forts pour le climat, la Chine peut difficilement continuer à exporter des projets polluants hors de ses frontières… Dans le secteur énergétique, la grande majorité des financements chinois ont été consacrés au charbon (24,5 GW), au gaz (20,5 GW), avec seulement une petite part allant à l’éolien (7,2GW) et au solaire (3,1 GW). Sur les 858 prêts « BRI » recensés par les chercheurs de l’université de Boston, 124 sont localisés dans des zones protégées, 261 dans des habitats « critiques » pour certaines espèces animales, et 133 sont situés sur des terres où vivent des populations indigènes.
Conscient de cette incohérence avec le positionnement de la Chine sur la scène internationale, le ministère de l’Environnement a chargé l’an dernier un groupe d’ONG internationales (BRIGC) de lui faire des recommandations pour rendre ses projets BRI plus « verts ». Les experts viennent de publier le 1er décembre une proposition recommandant de classifier les projets de l’initiative Belt & Road selon trois couleurs, pour éviter que les banques chinoises ne financent des projets polluants et nuisant à la biodiversité. Sous ce plan, seraient classés « rouge » les projets de construction de centrales à charbon et hydroélectriques, usines pétrochimiques et fonderies ; « jaune » les initiatives aux conséquences « neutres ou maitrisables », comme les voies ferrées ; et « vert » les chantiers liés aux énergies renouvelables (éolien, solaire…). Ce système permettrait à la Chine de s’aligner avec les 120 institutions financières du monde entier qui ont déjà adopté des pratiques similaires. L’objectif de cette classification est de créer un système d’évaluation transparent à la fois pour les régulateurs chinois, les investisseurs et les pays hôtes. Reste à voir si le gouvernement suivra les conseils des chercheurs… Ce qui est sûr est que les projets BRI tels qu’on les a connus ces dernières années ont vécu.
1 Commentaire
severy
13 décembre 2020 à 21:06Noir ou blanc, le chat finira par attraper la souris. La Chine trouvera un moyen de faire redémarrer les BRI.
Elle ne va pas sans rouspéter se contenter de glisser sous le tapis de leur échec, les débris des BRI.