L’affaire remonte à 2014. À l’époque Zhou Xiaoxuan, 21 ans, surnommée « Xianzi » (弦子), effectuait un stage à la chaîne de télévision CCTV. Venue apporter une corbeille de fruits au présentateur vedette Zhu Jun (朱军) dans sa loge, ce dernier lui aurait alors demandé si elle souhaitait continuer à travailler pour la chaîne, avant de lui imposer des attouchements – l’agression ne prenant fin que lorsqu’une tierce personne entra dans la pièce.
Avec le soutien d’un de ses professeurs, Xianzi va dès le lendemain signaler Zhu à la police, qui la persuade de ne pas porter plainte au motif que Zhu Jun est célèbre (il a présenté 21 fois le fameux gala du Nouvel An chinois de la CCTV depuis 1997). « Tes parents sont tous deux membres du Parti, cela va nuire à leur carrière », la mettent en garde les policiers.
Quatre ans plus tard, encouragée par l’affaire Weinstein qui fait grand bruit aux États-Unis, elle se décide à dénoncer son agresseur sur les réseaux sociaux. L’animateur nie les faits et entame des poursuites judiciaires contre Zhou pour diffamation (procès qu’il a perdu en octobre). Xianzi l’attaquera à son tour pour « atteinte aux droits de la personne ». C’est ainsi que Xianzi est devenue l’un des « visages » du mouvement #MeToo (#我也是) en Chine.
Il a fallu attendre deux ans pour que le procès s’ouvre finalement le 2 décembre devant une cour pékinoise. Le jour J, ils étaient un peu plus d’une centaine – amis, militants féministes et anonymes – à être venus soutenir Xianzi. Sur Weibo, de nombreux hashtags en lien avec l’affaire ont été supprimés par les censeurs. La presse elle, est restée silencieuse… Seul Caijing a publié un article sur le procès, avant de disparaître lui aussi.
Après 10 heures d’audience, le procès a finalement été ajourné. Les avocats de la jeune fille réclament la récusation des trois juges, un procès public et que l’accusé soit présent – une tactique dilatoire pour espérer reprendre l’avantage… Si la cour donne raison à Xianzi, le procès aura valeur d’exemple pour d’autres victimes. Si ce n’est pas le cas, il marquera tout de même l’histoire comme l’un des premiers procès #MeToo, et permettra de révéler les insuffisances de la justice.
Même si le mouvement MeToo a libéré la parole de certaines victimes, notamment sur les campus universitaires, son impact en Chine est resté limité pour plusieurs raisons. Il a d’abord un aspect culturel qui veut qu’une femme « vertueuse » doive se plier aux désirs des hommes, surtout lorsqu’ils sont plus âgés. Il y a aussi le fait que le harcèlement sexuel reste tabou et est perçu comme une chose dont la victime devrait avoir honte. Il a également un aspect politique, intimement lié aux « caractéristiques chinoises ». Le Parti étant essentiellement dirigé par des hommes, il protège une certaine élite masculine, qu’ils soient politiques, présentateurs TV, hommes d’affaires… De plus, les autorités perçoivent le féminisme comme un concept « néfaste » importé de l’Occident et soupçonnent les groupes de défense des droits des femmes (comme d’autres ONG) d’être financés par des « forces étrangères hostiles ». Le degré de tolérance du gouvernement vis-à-vis de ce genre d’activisme populaire n’a d’ailleurs cessé de s’amenuiser depuis l’arrivée de l’actuel Président au pouvoir. En 2015, cinq militantes étaient détenues plus d’un mois pour avoir envisagé de distribuer des stickers visant à sensibiliser sur le harcèlement dans les transports en commun.
Sans surprise, le nombre de cas de harcèlement sexuel qui ont été portés devant les tribunaux chinois entre 2010 et 2017 est anecdotique. Selon le centre pékinois « Yuanzhong Gender Development », sur les 50 millions de verdicts rendus publics, seulement 37 sont liés à des affaires de ce type. Parmi ces 37 cas, seuls deux sont initiés par des victimes contre leurs agresseurs présumés. Ces deux affaires ont finalement été classées sans suite par manque de preuves.
Reflet d’une lente évolution des mentalités, la Chine a intégré en mai dernier une première définition légale du harcèlement sexuel dans son code civil, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2021. Même si le texte présente bien des lacunes, c’est un premier pas.
Autre signe encourageant : la récurrence ces derniers mois sur les réseaux sociaux des débats autour de sujets « féministes », comme les tabous autour de la menstruation, le manque d’accès aux protections périodiques, la parité homme-femme, les violences conjugales ou encore les féminicides. C’est le signe d’une lente prise de conscience, notamment de la part des nouvelles générations.
1 Commentaire
severy
13 décembre 2020 à 21:31Selon cet article, le féminisme est aujourd’hui un concept considéré comme néfaste par le pouvoir en place. Ce n’était pas vraiment le cas sous Mao. Faut-il en conclure que le régime a beaucoup involué? Par ailleurs, pourrait-on affirmer que les groupes de défense des droits des femmes sont financés par des « forces étrangères hostiles » au révisionnisme? Voilà un sujet de compo de dialectique casuistique.