Portrait : Chen Yixin, l’assurance « tous risques » de Xi

Chen Yixin, l’assurance « tous risques » de Xi

Jusqu’à février dernier, son nom était encore peu connu du grand public. C’est lorsqu’il a été envoyé à Wuhan en tant que directeur adjoint du « groupe central de la lutte contre l’épidémie » que Chen Yixin (陈一新), 61 ans, a réellement fait parler de lui. Sur place, il était loin d’être un inconnu puisqu’il a été secrétaire du Parti à Wuhan, puis vice-secrétaire du Hubei, entre 2016 et 2017. Son passage de 15 mois n’a pourtant pas marqué les esprits, si ce n’est pour avoir sermonné les cadres locaux de ne pas s’être attelés à la réduction des tracasseries administratives…

Alors, pourquoi envoyer Chen  Yixin à Wuhan ? D’abord,  Chen disposait de suffisamment d’appuis sur place, mais pas trop non plus, pour permettre le départ de Ma Guoqiang, qui lui avait succédé, et  de Jiang Chaoliang, un allié du vice-président Wang Qishan. Mais surtout, envoyer Chen permettait au président Xi Jinping d’avoir un homme de confiance sur place. Fidèle à sa réputation d’homme ordonné, déterminé, calme et de bon communicant, Chen transmettait ainsi ses premières consignes via WeChat aux cadres de Wuhan : « je m’appelle Chen Yixin, et je suis de retour (…) pour me battre à vos côtés ».

Né en 1959 dans le Zhejiang, Chen Yixin a eu la chance de côtoyer Xi Jinping lorsque le futur président était gouverneur puis secrétaire du Parti de cette province (2002-2007). On peut donc considérer Chen comme un membre de la « nouvelle armée du Zhijiang », au même titre que le patron de la propagande Huang Kunming, le secrétaire de Pékin Cai Qi, ou le nouveau secrétaire du Hubei Ying Yong. Depuis l’ascension de Xi au pouvoir, Chen Yixin a été promu cinq fois.

Chen Yixin et Jack Ma, fondateur d’Alibaba en 2018

Durant ses 17 mois à Jinhua (Zhejiang) à partir de 2012, Chen brillait pour avoir réussi à convaincre Alibaba d’installer sa plateforme logistique Cainiao sur un terrain de 23 000 mu, dont les habitants ont été expropriés en seulement 100 jours. Promu fin 2013 en tant que secrétaire de Wenzhou, la « Jérusalem chinoise », Chen aurait joué un rôle important dans la vaste campagne de destruction des croix au sommet des clochers d’églises aux côtés de Xia Baolong (aujourd’hui directeur du Bureau central des affaires hongkongaises) et aurait contribué à sortir la ville de sa pire crise financière. À peine deux ans plus tard, Chen obtenait son premier poste à Pékin et devenait vice-directeur de l’unité de travail du nouveau groupe central pour l’approfondissement de la réforme, le « think tank de Zhongnanhai », fondé par Xi Jinping mais dirigé par l’influent Wang Huning. Dans un effort d’assainissement de l’appareil de la sécurité publique, Xi plaçait ensuite Chen, son homme de confiance, en tant que secrétaire général de la Commission centrale des affaires politiques et légales en mars 2018. Grâce à ce soutien au plus haut niveau, Chen détient considérablement plus de pouvoirs que son prédécesseur Wang Yongqing, lui permettant ainsi de court-circuiter son chef Guo Shengkun, issu de la faction de l’ancien vice-président Zeng Qinghong. Chargé d’assurer la stabilité du pays en une période de turbulences « venues de l’extérieur » (principalement de Washington), Chen identifiait en avril 2019 pas moins de 30 « risques » menaçant la sécurité politique du pays (du Parti). « À mesure que notre pays se rapproche du centre de la scène internationale, les risques ‘importés’ sont en augmentation et deviennent la plus grande source d’incertitudes à notre sécurité domestique », écrivait-il dans le Study Times, journal affilié à l’Ecole centrale du Parti. Lors de la crise à Hong Kong cet été-là, Chen veilla à ce que la surveillance soit renforcée sur internet. Il tenait le même discours à Wuhan début 2020, admonestant les cadres de se préparer sur les deux champs de bataille, « en ligne et hors ligne » : « il faut traiter scrupuleusement les rumeurs et promouvoir les histoires touchantes qui ont lieu en première ligne de l’épidémie ». C’est donc en partie à Chen que l’on doit les vidéos d’infirmières et malades de la Covid-19 dansant ensemble dans les hôpitaux d’urgence.

Chen Yixin visite un hôpital d’urgence en construction à Wuhan

Une fois sa mission de deux mois terminée à Wuhan, Chen était chargé d’une autre tâche, toute aussi délicate : mener une campagne de « rectification » du système politico-légal, visant à s’assurer de « la loyauté absolue, la pureté absolue, la fiabilité absolue » des juges, policiers et agents de la sécurité d’état à tous niveaux, et à débusquer les « doubles visages » (双面)- cadres soupçonnés de ne pas être loyaux à Xi, malhonnêtes ou hypocrites. En phase de test dans quelques villes jusqu’à la fin de l’année, la campagne sera étendue à la nation entière en 2021 et devrait prendre fin en 2022. Parmi les premières victimes : le chef de la police de Shanghai, le chef de la police de Chongqing, le patron des prisons de Mongolie-Intérieure, le chef de la sécurité publique à Jiangmen (Guangdong)… Jusqu’à présent, 373 cadres ont été mis sous enquête, 1 040 autres ont été sanctionnés. 1 500 se sont dénoncés d’eux-mêmes… Pour mémoire, la campagne « anti-triades » des trois dernières années a attrapé plus de 67 190 flics « corrompus », de mèche avec les criminels. Cette fois, cette « campagne de rectification » a pour objectif de prévenir tout incident interne, « à la Wang Lijun » ou « à la Meng Hongwei », qui pourrait se transformer en une crise domestique majeure et contrarier les plans de Xi Jinping, qui ambitionne d’être reconduit pour (au moins) cinq ans supplémentaires lors du décisif 20ème Congrès d’octobre 2022, brisant ainsi toutes les règles préétablies de succession au sein du Parti, mais se mettant également à dos un certain nombre de cadres qui pouvaient prétendre à une promotion… 

Finalement, deux théories s’opposent quant à l’avenir de Chen Yixin : certains analystes le voient déjà prendre la place de Guo Shengkun en 2022 avec montée au Politburo à la clé, l’actuel conseiller d’État et ministre de la Sécurité Publique Zhao Kezhi devant prendre sa retraite d’ici deux ans. Problème : Chen n’est même pas encore membre du Comité Central, n’étant que suppléant. Selon Alex Payette, cofondateur du cabinet Cercius, ce n’est pas un obstacle à la promotion de Chen Yixin, lorsque l’on sait que des « doubles non » (« 双非 », ni membre du Comité Central, ni même suppléant) comme Cai Qi ou Chen Jining (respectivement secrétaire du Parti et maire de Pékin) ont été promus d’une traite, parfois jusqu’au Politburo. Toutefois, l’analyste canadien prévoit un scénario de transition plus long pour Chen Yixin : pourquoi pas secrétaire adjoint de la Commission centrale des affaires politiques et légales entre 2021-2026 (à la place actuelle de Zhao Kezhi) pour ensuite faire le test du «七上八下», permettant aux cadres jusqu’à 67 ans d’être nommés et à ceux ayant atteint les 68 ans d’être remplacés. « Afin de conserver le pouvoir, Xi Jinping doit se concentrer sur les cadres nés entre 1962 et 1963, ceux qui peuvent vraiment tenir jusqu’en 2027. Or, ceux nés en 1958 et 1959 , comme Chen Yixin, devront prendre leur retraite avant cette échéance ». Même s’il n’accède pas à une place de premier plan, Chen se verra sûrement confier d’autres missions de première importance dans les prochaines années pour le compte de son puissant patron. A ce titre, il reste un personnage à suivre.

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