Alors que le Covid-19 fait toujours rage aux États-Unis et en Inde, et que l’Europe fait face à un rebond post-estival, la Chine a célébré en grande pompe sa victoire contre le virus le 8 septembre. Depuis plus de trois semaines, aucun cas de transmission locale n’a été recensé dans le pays. Le Parti est donc bien décidé à capitaliser sur ce succès sans attendre la fête nationale le 1er octobre – une manière de clôre ce chapitre épidémique au plus vite pour mieux se concentrer sur l’économie.
Le jour J, une cérémonie officielle a eu lieu au Grand Palais du Peuple à Pékin devant 3 000 invités portant un masque. Le moment fort de l’évènement, largement repris sur les réseaux sociaux, a été la remise par le Président Xi Jinping de la « Médaille de la République », plus haute distinction d’État, à l’expert en maladies respiratoires de 84 ans Zhong Nanshan, pour avoir su inspirer confiance à la population dès le début de l’épidémie. Moins connues du grand public, trois autres personnalités sont devenues des « Héros du Peuple ». Il s’agit de Zhang Boli, pour avoir combiné la médecine traditionnelle chinoise aux médicaments « occidentaux », Zhang Dingyu, directeur de l’hôpital de Jinyintan de Wuhan, pour son rôle en première ligne dans le traitement du Covid-19, et Mme Chen Wei, major-général de l’APL, pour avoir mis sur les rails la recherche d’un remède et d’un vaccin. Plus de 1 500 personnes ont également été distinguées : médecins, infirmières, militaires, la porte-parole Hua Chunying, et 14 membres du Parti à titre posthume. Une chose qui frappe est l’absence sur cette liste du célèbre ophtalmologue de 34 ans, Li Wenliang, déclaré « martyr » lors de la « Toussaint chinoise » le 4 avril. Son souvenir n’a pourtant pas disparu : ils étaient des milliers à lui rendre hommage sur son compte Weibo… Autres grands absents : le Dr Zhang Wenhong, la coqueluche du public, réputé pour son franc-parler, le Dr Li Lanjuan, 73 ans, épidémiologue de renom, ainsi que Ai Fen, lanceuse d’alerte et collègue de Li Wenliang, qui avait elle aussi été réprimandée par ses supérieurs.
Alors que l’absence médiatique du Président Xi a été remarquée en début de crise, huit mois plus tard, le changement est radical. Le jour de la cérémonie, les médias officiels (Xinhua, Quotidien du Peuple…) ont été dithyrambiques à son égard, soulignant l’implication personnelle du Président dès le 7 janvier, Xi enchainant les nuits blanches et les réunions (17 avec le Comité Permanent et 4 avec le Politburo). Leader attentionné, lors de sa visite à Wuhan en mars, Xi aurait spécialement intimé aux cadres de tout mettre en œuvre pour que les habitants ne manquent pas de poisson, leur plat préféré… Il ne faut donc pas s’y tromper, c’était bien le Premier Secrétaire le véritable héros du jour. Xi Jinping a d’ailleurs inauguré la cérémonie par un discours-fleuve de plus d’1h10, vantant la réponse efficace du gouvernement, la supériorité du système chinois par rapport aux démocraties occidentales, et réitérant son soutien à l’OMS. Il a poursuivi en énumérant la longue liste des exportations chinoises de matériel médical (209 000 ventilateurs, 1,4 milliard de combinaisons, 151 milliards de masques). S’accordant ainsi son propre satisfecit, Xi estime que la Chine a rempli ses obligations internationales et que son aide a contribué à sauver des millions de vies à travers le monde.
Pour que la victoire contre « l’ennemi invisible » soit totale, la Chine met un point d’honneur à être la première à développer un vaccin, avant les rivaux européens, russe, australien et surtout américains. Au niveau international, neuf vaccins sont entrés dans la phase 3 de tests, dernière étape avant la mise en production. Quatre d’entre eux sont mis au point par des laboratoires chinois (Sinopharm, Sinovac et CanSino), dont l’un devrait être disponible dès décembre. Ces vaccins candidats ont déjà été testés sur des « centaines de milliers de personnes » comme des employés de firmes d’Etat, de Huawei, des ouvriers et des militaires partant en mission à l’étranger, et ce, dès la fin du mois de juin. Pour la suite des essais cliniques, ces mêmes laboratoires ont été contraints de délocaliser dans des pays tels que le Brésil ou le Pakistan, la maladie n’étant plus prévalente en Chine. A domicile, le public semble déjà convaincu : selon une récente étude du World Economic Forum, 97% des Chinois interrogés seraient prêts à se faire vacciner (contre seulement 59% des Français). Près de deux Chinois sur trois s’inquiètent tout de même des potentiels effets secondaires, tandis qu’un sur dix pense que le vaccin sera inefficace.
Un bémol prête toutefois à réfléchir : la Chine tarde à rejoindre l’initiative COVAX de l’OMS, visant à rendre le futur vaccin accessible à tous, en particulier aux pays pauvres. En effet, même si le Président Xi a promis de faire de son vaccin un « bien public mondial », il ne s’agit pas pour autant d’en partager le prestige. Selon toute vraisemblance, le moment venu, Pékin vendra des millions de doses à ses alliés, aux pays qui menacent de dénoncer les mauvaises relations, et à ceux qui ne disposent pas d’autre choix, mais non pas par l’entremise de l’OMS. La Chine compte sur ce futur vaccin pour redorer son blason à l’international et en faire une arme diplomatique, notamment à travers ses routes de la soie (BRI). Cette stratégie sera-t-elle plus réussie que sa controversée « diplomatie du masque » ? La science réussira-t-elle à dissiper le climat de méfiance qui prévaut dans bon nombre de ses relations diplomatiques ? Rien n’est moins sûr…
1 Commentaire
severy
13 septembre 2020 à 20:59Pour la majorité silencieuse, les vrais héros sont ceux qui ne sont pas cités dans la liste des décorés.
Les médaillés ont fait leur travail. Les héros ont fait leur devoir.