Derrière une paroi de verre, au parloir du pénitencier de Fuzhou, Zhaoyan retrouvait un Rudai émacié, en proie à la honte de s’être laissé pincer, mais toujours plein d’une arrogance désespérée qui ne laissait nulle place au remord…
« Comment vas-tu, mon pauvre fils?, demanda le père. Avec ta mère, nous nous faisions un sang d’encre à ton sujet et nous prions les Dieux que tu retrouves le droit chemin…
–Je vois que vous n’avez toujours pas cessé de me juger, s’écria Rudai rebelle. C’est quand même à cause de vous et de votre maudite morale que je suis tombé dans ce pétrin !»
Atterré par son insolence, Zhaoyan avait pourtant mieux à faire que de se disputer avec lui et il alla droit au but :
« Où est Hewei ? Qu’avez-vous fait de lui ?
– Je ne l’ai plus, répondit Rudai en évitant son regard, il est loin – oublie-le. »
Et ils se séparèrent ainsi, Rudai refusant d’en démordre. À Yuanlong qui l’attendait, Zhaoyan avoua l’échec de sa mission. Mais pourquoi Rudai s’enferrait-il dans son silence ? Et comment réagir à son accusation de l’avoir fait plonger dans la mauvaise vie en lui pourrissant son enfance ? Certes, Zhaoyan et sa femme s’étaient mariés trop jeunes, et submergés de travail, n’avaient jamais pu s’occuper de Rudai comme ils auraient voulu. Face à ses échecs scolaires répétitifs, ils étaient restés passifs, aveugles à ses mauvaises fréquentations, jusqu’à sa fugue définitive à 16 ans. Mais ils n’étaient pour rien dans ce mariage qu’il avait fait sans leur accord, avec cette fille de rien. C’était elle qui l’avait initié à la drogue, et qui payait les doses en se prostituant. Mais quelles que soient les excuses qu’il invoquait, Zhaoyan ne parvenait pas à se pardonner la déchéance de leur fils unique…
Mi-décembre pour Rudai, tomba le verdict : il écopait de 15 ans. N’ayant rien à perdre, Zhaoyan fit alors une ultime tentative auprès de lui. Après lui avoir remis ses présents -un filet de biscuits, des pommes et des oranges – il lui reposa la question : où se trouvait son petit-fils ? Et cette fois, à sa grande surprise, Rudai avoua tout, sans fard, comme s’il voulait s’alléger d’un fardeau qui lui pesait. Mais la fière méchanceté avec laquelle il déballait l’histoire, disait aussi l’envie de régler ses comptes :
« Avec Xiaoming, nous avons vendu le petit à un couple riche, de Shanghai. Des gens prêts à payer une blinde pour s’offrir le fiston qu’ils ne parvenaient pas à engendrer. Nous savions que dans ce foyer bien à l’aise, Hewei aurait la chance d’une vie meilleure, meilleure que la nôtre à tout le moins. Et puis nous, on avait besoin de fric.
– Mais, insista Zhaoyan, as-tu pensé à la douleur que tu nous infligeais à ta mère et moi ?
– Non, c’est vrai … Mais tu sais, Xiaoming et moi, on se disputait tout le temps… elle ne voulait plus partager son argent avec moi. Ça n’allait plus. Tout ce qu’on voulait, c’était toucher un magot et filer chacun pour soi…
– … Et maintenant, où est-ce qu’elle est ?
– Aucune idée. Après avoir livré le môme au lieu du rendez-vous, on s’est partagé le cash, puis elle a quitté la ville. Mais sur le papier, on reste mariés : on n’a pas voulu perdre du temps à passer au bureau des divorces.»
Le père voulait quand même un maximum de détails, « mais où sont ces gens, les nouveaux parents ? Je peux racheter le petit – je vendrai la maison si nécessaire.
– Te fatigue pas, j’te l’dirai pas. Et même si j’te l’disais, y’ te le rendraient jamais. »
Et c’est ainsi que père et fils se dirent au revoir, pour toujours sans doute. Mais cette fois, rien ne retenait plus le grand-père de déposer plainte. Ce qu’il fit le 25 décembre au commissariat central, accompagné de Yuanlong. Voyant la douleur de ces pauvres gens qui sanglotaient durant la déposition, les inspecteurs n’eurent pas le cœur de leur reprocher les 11 mois perdus depuis l’enlèvement. Sans perdre plus de temps, ils allèrent interroger Rudai : face à ces coriaces professionnels, le jeune vaurien ne put celer plus longtemps les détails qu’il gardait sur la trace du petit. Dès le 3 janvier 2019, l’enfant était retrouvé. 10 jours suffirent pour établir la parenté, tests ADN à l’appui : les grands-parents biologiques retrouvèrent le 16 janvier leur petit trésor, sous les caméras de la TV nationale. C’était juste avant le Chunjie et le passage à l’année du cochon, signe de bon augure.
Rudai dans sa prison, et Xiaoming bientôt appréhendée, ont chacun écopé de 6 ans à l’ombre – pour Rudai, ils se cumulent aux 15 ans de sa première peine. Contre toute attente, à Shanghai, les riches repreneurs du petit kidnappé ont évité la paille humide du cachot. Leur avocat a su invoquer le traitement exemplaire du garçonnet (confié à un bon jardin d’enfants de l’ « œil du Dragon »), et justifier leur délit par la détresse psychologique de n’avoir pu générer un fils. Mais leur salut, ils l’ont surtout dû à eux-mêmes, en payant les 20 000 yuans d’amende, agrémenté d’un cachet aussi lourd que discret au juge et au président du tribunal. Ce qui confirme la justesse du proverbe immémorial : « Avec de l’or, tu peux même atteler le diable à ton moulin » (有钱能使鬼推磨,yǒu qián néng shǐguǐtuī mò) !
1 Commentaire
severy
13 septembre 2020 à 22:41Soyons bref, comme disait Dostoevsky. Bravo !
(C’est à l’auteur de cette histoire que je m’adresse)