Niché au cœur des montagnes du Zhejiang à 4 heures de route de Shanghai, He Qiao (河桥) est un village de 3 500 habitants, n’ayant pas bénéficié de la croissance rapide que la Chine a connue ces dernières années. Le hameau commence à se réveiller grâce au dynamisme – entre autres – d’une dénommée Zhang Yan (张雁), 44 ans. Après avoir travaillé pendant 20 ans à Shanghai dans le secteur de la construction, Zhang Yan est revenue en 2014 dans son village natal avec le rêve de le développer.
À son retour, elle a d’abord entrepris de faire de sa maison familiale – une ancienne bâtisse traditionnelle de la campagne chinoise – un lieu de villégiature prénommé Pi Di Han Lou (僻地寒楼, « un endroit simple hors des sentiers battus »). Après avoir rénové trois étables en pierre et construit une cabane dans un arbre, ces chambres d’hôtes ont été mises en locations à partir de 2015. Le succès a été immédiat. Dès le premier mois, elles lui ont rapporté 13 000 CNY (1 700 €), sachant que le salaire annuel local avoisinerait les 10 000 CNY (1 300 €).
Malgré ce démarrage prometteur, Zhang Yan décida cinq mois plus tard de fermer temporairement afin de réfléchir à la direction qu’elle souhaitait donner à son établissement. Pour elle, pas question de faire du chiffre à tout prix ! Zhang Yan désirait attirer un autre type de clientèle, plus attentive à l’environnement, au sens large du terme. La patronne souhaitait également être maître de son rythme de travail et être en mesure de se dégager du temps pour d’autres projets… Alors, elle décida de mettre un terme à son partenariat avec la célèbre agence de voyages Ctrip, qui prélève une commission pour toute réservation sur sa plateforme. Les négociations pour sortir Pi Di Han Lou du système de réservation ont pris fin en 2016. Sans surprise, son revenu chuta, Ctrip étant sa source principale de clientèle… Mais Zhang Yan misa sur son réseau ( plus de 10 000 contacts sur WeChat) et le bouche-à-oreille pour relancer ses affaires. Un pari gagnant puisqu’elle boucla l’année avec un revenu de 600 000 CNY (75 000 €). Poursuivant sur sa lancée, en 2017 elle enregistra une hausse d’un tiers du chiffre d’affaires (800 000 CNY, soit 100 000 €).
Portée par ses premières réalisations et un business florissant, Zhang Yan réinvestit l’argent gagné dans la construction de trois autres maisonnettes : une « maison-lune », une « maison-hobbit » (cf photo) et une grande cabane qui trône au bout du terrain, surplombant le potager et la rivière. Ce faisant, Zhang Yan faisait le choix de l’originalité et de la qualité, témoignant de l’expérience acquise depuis la rénovation de ses premières chambres trois ans plus tôt. À la fin de l’année 2018, elle évaluait son chiffre d’affaires à 900 000 CNY (113 000 €), puis atteignait le million de yuans (125 000 €) lors de sa quatrième année d’opération en 2019.
Tout ne s’est pas fait sans difficulté. Encore aujourd’hui, Zhang Yan (à droite sur la photo) doit sans cesse faire face à une résistance au changement qu’elle apporte ainsi qu’à la force de l’habitude, à commencer par celle de sa propre famille. Si celle-ci s’est montrée enthousiaste à propos de son retour au village, les désaccords concernant ses idées de transformation de la maison ont été nombreux. Certains de ses proches continuent de s’opposer systématiquement à ses nouvelles idées avant de finir par les adopter une fois qu’ils en voient l’utilité. Les villageois sont aussi surpris, désarçonnés par ses méthodes : quand eux démolissent leurs vieilles maisons pour construire du grand et du neuf, censé prouver leur réussite, et se débarrassent de leurs vieilleries, Zhang Yan elle, récupère ce qu’ils jettent, créé à partir de l’existant… Elle se heurte également aux enjeux du management : recrutement (difficile d’embaucher lors de la récolte du bambou par exemple), répartition du travail, gestion des conflits, motivation du personnel, arrêt d’une collaboration… Enfin, même si sa clientèle vient essentiellement des villes et provinces voisines (Shanghai, Hangzhou, Zhejiang, Anhui…), l’isolement géographique du village, sans véritable réseau de transport, est un frein indéniable. Alors, elle se démène, fait beaucoup par elle-même et, grâce à sa persévérance et sa force de persuasion, elle fait bouger les lignes et le regard des autres a commencé à évoluer.
Au moment du Nouvel An chinois 2020, l’épidémie du Covid-19 marque un coup d’arrêt brutal : plus aucun client ne viendra de janvier à avril… À cela s’ensuit la perte d’un ami cher. Suite à un changement de règlementation, la maison d’hôtes qu’il gérait a dû fermer ses portes du jour au lendemain. Il en est mort de tristesse… Comme tout entrepreneur en Chine, Zhang Yan a bien conscience que tout peut s’arrêter subitement. Loin d’être naïve, elle sait bien qu’elle ne doit pas trop s’attacher à son entreprise, et qu’elle doit se tenir prête à avoir une porte de sortie, juste au cas où…
Alors, elle explore de nouvelles pistes, tente de se diversifier. Grâce au boom du e-commerce en Chine, Zhang Yan se lance avec un petit réseau dans la vente de produits agricoles locaux ; un commerce qui rapporte 100 000 CNY (13 000 €) dès les premiers mois. La jeune femme ne s’arrête pas là. Dans la vieille rue, elle restaure un local pour en faire un restaurant français, tente de faire venir une boulangère de Hangzhou (杭州), et envisage un espace de travail collaboratif rural afin d’inciter les jeunes à venir s’installer en campagne.
Ayant eu vent de son action, le département touristique de Lin’an (临安), chef-lieu de la région, la contacte pour rejoindre leur initiative de revitalisation de la région, quoiqu’elle ne soit pas membre du Parti. Après plusieurs réunions dans les bureaux du gouvernement, elle se voit ainsi nommée responsable d’un réseau de maisons d’hôtes afin de les aider à se développer comme elle a réussi à le faire, en alliant développement et enrichissement dans le respect du cadre et des ressources locales. Cette soudaine promotion ne vient pas sans responsabilités et contraintes, mais offre à Zhang Yan un soutien indéniable pour accomplir son objectif premier : revitaliser Heqiao. Depuis peu, c’est tout le village qui est en rénovation : les routes et les canalisations sont refaites, les bâtiments publics rénovés et les habitants, inspirés par l’exemple de Zhang Yan qui fait figure de pionnière, lancent leurs propres projets. La transformation est lancée.
Instagram : @pidihanlou
Retrouvez le parcours de Zhang Yan en video :
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