Politique : L’ombre de Yan’an

« Éliminer le poison », « éradiquer les tumeurs cancereuses », « purger les moutons noirs »… C’est en ces termes que Chen Yixin, secrétaire général de la Commission des Affaires politiques et légales (« zhèngfǎwěi ») et fidèle lieutenant du Président Xi, a annoncé début juillet le début d’un programme « d’éducation » et de « rectification » des cadres, slogan tout droit inspiré de la « campagne de Yan’an » initiée par Mao en 1942 pour consolider son pouvoir. D’abord appliquée dans cinq villes de province, la campagne sera étendue au niveau national début 2021, puis prendra fin début 2022, juste avant la fin du 2ème mandat de Xi Jinping. Elle n’épargnera personne : juges, procureurs, officiers de police, cadres de la sécurité d’État…

En parallèle, un nouveau groupe d’intervention (政治安全专项组) a été créé pour « préserver l’intégrité du système politique et réprimer toute activité qui pourrait saper son autorité ». « Le gouvernement ne peut correctement protéger son peuple que si l’environnement politique est sécurisé » selon le communiqué officiel. Ce groupe devrait également améliorer la coordination entre la Commission des Affaires politiques et légales, le ministère de la Sécurité publique (MSP), et celui de la Sécurité d’État (MSE). Il est directement placé sous la direction d’un autre groupe de coordination pour « la construction d’une Chine pacifique et sécuritaire » (平安中国建设协调小组), créé en avril dernier, sous la houlette de l’indéboulonnable Guo Shengkunle patron de toutes les polices et membre du Bureau Politique. La multiplication de ces groupes à vocation sécuritaire est révélatrice du sentiment d’insécurité qui plane au sein de l’appareil, particulièrement après son tour de force à Hong Kong

Ce n’est pas la première fois que la sécurité publique fait l’objet de purges annoncées ou de remaniements. En effet, il a longtemps représenté le dernier bastion à prendre pour le Président Xi, qui s’est attaché depuis son arrivée au pouvoir à éradiquer l’influence de son ancien patron Zhou Yongkang. Le dernier « tigre » déchu est Meng Hongwei, ancien vice-ministre du MSP et patron d’Interpol, condamné en janvier à 13,5 ans de prison pour avoir empoché 14,5 millions de yuans (1,8 million d’euros) de pots-de-vin. Dans un recueil interne distribué aux cadres par la  Commission interne de discipline (CCID), le train de vie de Meng est décrit comme « extravagant et décadent », des termes récurrents dans les affaires de corruption. Plus inhabituelle, cette avalanche de détails : « Meng était une personne arrogante qui traitait ses subordonnés comme ses serviteurs, monnayant son influence contre des privilèges. Il a également fermé les yeux sur le vice de son épouse [Grace Meng, exilée en France], qui aurait accaparé plusieurs véhicules militaires pour son usage personnel ». Ces accusations n’étonnent pas Alex Payette, cofondateur du cabinet Cercius : « En tant qu’ancien patron d’Interpol, Meng était un personnage public. Ces commentaires ont donc pour objectif de donner une explication officielle à sa chute et faire de lui un exemple. Toutefois, les chefs d’accusation en eux-mêmes n’ont que peu d’importance ». Reste encore Zhou Qiang, président de la Cour Suprême, déjà affaibli et qui devrait également être poussé vers la sortie…

Alors qui pourrait-être la véritable cible de cette campagne de rectification ? Tous les indices pointent vers Meng Jianzhu, l’ancien patron de la Commission des Affaires politiques et légales (2012-2017), issu de la faction de l’ex-Président Jiang Zemin. La rumeur le voudrait en résidence surveillée depuis plusieurs années… Alors pourquoi poursuivre cette purge, si Meng a été mis hors d’état de nuire ? Selon l’analyste canadien, « il y a une logique jusqu’au-boutiste derrière tout ça. Il suffit d’oublier une seule personne pour que cela se retourne contre soi, et Xi en a bien conscience. L’objectif pour lui est donc d’obtenir un contrôle total d’ici 2022, date à laquelle il devrait annoncer rempiler pour un 3ème mandat ou alors introduire son poulain ». Les discussions lors du prochain conclave estival de Beidaihe s’annoncent d’ores et déjà animées…

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