Chinafrique : Barrage épidémique sur les routes de la soie 

Touchés par le Covid-19 et impactés par la chute des cours du pétrole, du cuivre et d’autres matières premières, plusieurs pays africains adhérents à l’initiative BRI (Belt & Road), se retrouvent dans l’incapacité d’honorer leurs engagements financiers auprès de la Chine. Déjà l’Angola, la Zambie, le Soudan et la République du Congo auraient demandé à Pékin de renégocier leurs accords. D’autres devraient suivre… Comment la Chine réagira-t-elle ? Sera-t-elle encline à effacer leur ardoise ? Saisira-t-elle des actifs stratégiques pour compenser ses pertes ? Est-ce un coup fatal pour les « nouvelles routes de la soie » ?

Dès le 26 mars, les nations africaines demandaient aux membres du G20 l’annulation de 44 milliards de $ de dettes. Trois semaines plus tard, alors que le Président Macron plaidait pour l’annulation pure et simple d’une partie des dettes, les ministres des Finances du G20 se mettaient finalement d’accord sur la suspension partielle (20 milliards de $) du paiement du service de la dette de ces pays pauvres jusqu’à la fin de l’année. Pour la suite, la Chine, non membre du club de Paris, s’engageait à négocier avec les pays demandeurs au cas par cas, en bilatéral. Toutefois, il parait clair qu’elle ne fera preuve de charité que si les autres créanciers mettent eux aussi la main au portefeuille. Entre 2000 et 2018, la Chine aurait prêté 152 milliards de $ à 49 pays africains, détenant ainsi près d’un cinquième de la dette du continent.

Ces dernières années, la Chine a déjà annulé pour plusieurs milliards de $ de prêts à taux zéro. Cependant, ces aides ne constituent qu’une minorité des sommes contractées par les pays africains. L’essentiel de la dette est notamment détenu par des banques commerciales comme la Bank of China ou ICBC. Or, selon le chercheur Mei Guanqun, il est tout à fait improbable que ces banques effacent la dette de ces pays car elles sont sous la pression de Pékin pour atteindre leurs objectifs financiers. Ainsi, seules les banques de développement comme la China Development Bank (CBD) et l’Ex-Im Bank pourraient consentir à réduire leurs taux d’intérêts, revoir leur échéancier, ou convertir les créances en prises de participations… « Mais l’annulation d’une dette n’aura lieu qu’en dernier recours », précise un chercheur de la CBD cité par le Financial Times. Pourtant, il ne se fait pas d’illusion : « on peut tolérer que 20% de notre portfolio pose problème, mais pas la moitié » !

Souvent accusée en Occident de tendre un « piège de la dette » aux pays pauvres, ou de se comporter en « prédateur financier », mettant la main sur des actifs stratégiques lorsque les pays n’arrivent pas à rembourser leurs dettes, la Chine devra se montrer flexible dans ces négociations si elle ne veut pas perdre son influence durement gagnée auprès de ses partenaires africains.

Car résumer l’initiative BRI à ses seuls aspects financiers, c’est passer à côté de la nature éminemment politique du projet. A travers ces contrats signés, ce sont autant de voix remportées à l’ONU ou au sein de l’Union Européenne sur des sujets qui fâchent comme le Xinjiang ou les droits de l’Homme. Et durant la pandémie, ces pays BRI sont devenus des « faire-valoir » pour la Chine, la félicitant pour sa réponse initiale, puis exprimant leur gratitude pour son aide matérielle et son assistance. C’est sous ce schéma dérivé de l’initiative BRI, nommé « routes de la soie de la santé » (健康丝绸之路), que la Chine a obtenu les louanges du Pakistan, de la Serbie, de la Hongrie, de l’Ethiopie et de l’Italie. Le terme n’est pas nouveau : il était évoqué pour la première fois en janvier 2017 par le Président Xi Jinping lors de la signature d’un accord de principe avec l’OMS du Dr Tedros, pour améliorer le système de santé des pays adhérents à l’initiative chinoise. En le couplant au concept de « communauté de destin pour l’humanité », Pékin se positionne en « sauveur » tandis que les Etats-Unis et l’UE sont préoccupés par leurs propres situations.

Or la récente vague de discriminations à l’encontre des ressortissants africains installés en Chine, accusés d’être porteurs du Covid-19, a quelque peu entaché l’image de bienveillance de la Chine. Même si les autorités de la province du Guangdong ont officiellement banni de tels comportements, l’amitié de façade sino-africaine s’est craquelée : le masque tombe. Pékin en a conscience, comme le note un récent rapport confidentiel d’un think-tank rattaché au ministère chinois de la Sécurité Publique, avertissant qu’un sentiment anti-chinois pourrait alimenter des résistances aux projets BRI.

Autre aspect « populaire » : l’économie chinoise n’a pas été épargnée par le Covid-19 et de longs mois de convalescence sont à prévoir avant un retour à la normale. Une période durant laquelle toutes les ressources disponibles seront allouées en priorité au pays afin de garantir la stabilité sociale. Sous cet angle, l’annulation de la dette de pays africains serait très mal perçue par l’opinion chinoise, qui critiquait déjà lors du dernier sommet Chine-Afrique en 2018 (FOCAC) que l’argent chinois ne soit pas investi en Chine !

Cela peut expliquer que l’initiative BRI soit absente des communiqués officiels des réunions du Bureau Politique ces dernières semaines. Mais il ne faut pas s’y tromper : si l’attention des dirigeants est accaparée par la situation domestique – et le sera probablement durant les 12 à 24 mois à venir – Xi Jinping n’abandonnera pas si facilement son projet-phare, qu’il a tout de même fait inscrire dans la Constitution du pays. Selon un rapport du cabinet d’avocats d’affaires international Baker & McKenzie, il faut plutôt s’attendre à ce que les investissements soient réorientés en Asie du Sud-Est, région voisine mieux connectée et où le risque est moins fort qu’en Afrique. Ensuite, étant donné la diète imposée aux banques d’Etat, confrontées à une hausse de leurs prêts non performants, il faut s’attendre à une réduction de leurs financements. Si l’Etat les encourage, les acteurs privés pourraient alors prendre le relais, en se concentrant toutefois uniquement sur les projets les plus rentables.

Dans ces conditions, le COVID-19 ne conduira probablement pas les « nouvelles routes de la soie » dans l’impasse, mais il devrait changer à coup sûr leur trajectoire – une manière pour la Chine de s’en laver les mains sans avoir l’air de se désavouer.

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