Petit Peuple : Nanchang (Jiangxi) : le surf géant de Nai Nai (1ère partie)

Gan Xiqi est née en 1996 à Nanchang (Jiangxi) de parents avocats. Fille unique, elle fut la dépositaire de toute l’affection de sa famille, des parents aux oncles et tantes, en passant par les grands-parents qui l’avaient surnommée « Nai Nai » (奶, petit lait). Ses caprices furent systématiquement comblés, et un flux constant de cadeaux se déversa sur elle, des poupées Barbie aux tenues « Blanche Neige » ou « Cendrillon », souvenirs des excursions au Disneyland de Hong Kong. Très tôt, elle avait reçu son iPhone, suivi chaque année de ceux des prochaines générations. Que l’internet soit entré dans l’empire du Milieu l’année de sa naissance détermina sa personnalité. Contrairement à ses parents qui avaient été formatés par les livres et le papier, Xiqi vécut dans l’ombre de son smartphone et de son PC : le surf virtuel lui vint en même temps que ses premiers pas.

Dès l’âge de huit ans, elle aimait se produire en spectacle, dansant lors des fêtes d’anniversaire de son petit monde. Sa mère qui déplorait ses tendances à l’indolence, tenta de la cadrer. Mais précocement gâtée, Nai Nai ne faisait que ce qu’elle voulait, et savait obtenir de son père, par un câlin, ce que maman tentait de lui refuser. Aussi sa mère, la sachant perdue d’avance pour des études universitaires, la fit entrer à 11 ans en pensionnat dans une école de danse à la discipline rigoureuse, mais qui garantissait une des meilleures formations en ballet classique comme en danse moderne. En 2015, Nai Nai poursuivit par une école d’art à Xian (Shaanxi) dont elle sortie, tant bien que mal, diplômée en 2018.

L’adolescence protégée s’achevait : ses parents retraités n’avaient plus les moyens de l’entretenir davantage. Mais comment vivre ? Nai Nai ne voulait pas devenir l’amante de producteurs de TV, ni d’hommes d’affaires. Elle n’avait pas plus de goût pour se lancer dans la carrière sans fortune ni gloire de professeur de danse en école de quartier.

Que lui restait-elle ? Avec son iPhone, elle commença à se filmer depuis l’aube, une fois attifée et maquillée, pour poster le monde selon Nai Nai sur son site de vidéo-blog. Son choix fut de se montrer en ville, dans la superette, sur le parvis d’un temple, à la gym ou la piscine. Ce type de reportage en extérieur la différenciait déjà de la majorité des vidéo-blogueurs qui officiaient en chambre : sa parole était plus naturelle, et à sa joliesse piquante et souriante, elle ajoutait l’attrait du décor sans cesse renouvelé. Bientôt, elle fut remarquée par le Yuanqian Culture de Shanghai, un groupe sur internet qui coachait 300 bloggeurs et blogueuses du pays. Car sans en avoir l’air, le métier qu’elle s’était choisi était porteur : en 2018, 425 millions d’internautes s’étaient inscrits aux sites de vidéo-blog, avides de découvrir des vies plus chatoyantes que les leurs.

Chez Yuanqian, Zoe Dai, la chasseuse de tête retint chez Nai Nai sa beauté fraîche, pas encore retendue par la chirurgie esthétique. Borix Xu le PDG du groupe, fut lui séduit par son talent indiscutable à parler aux hommes. « Riche moi-même, déclarait-il, je reconnais au 1er coup d’œil les filles qui plairont aux gens aisés, par ses jolies lignes, et sa fausse humilité bien élevée qui rassure ». L’agence offrit donc à Nai Nai un contrat sur 3 ans incluant un studio à Shanghai, un agent et un assistant de production.

Ainsi nantie, elle commença à arpenter tout Shanghai en quête de scène exotique où se produire : dans une pommeraie en fleur en avril, dans un marché de rue, dans une salle de danse de K-pop, en balade sur le « Bund » (bord du fleuve Pu) ou la rue de Nankin. Elle restait en ligne six à huit heures le jour, le temps d’attirer toujours plus d’hommes qui lui passaient des messages et avec qui elle conversait – un temps proportionnel à leurs cadeaux, un « avion » (100 yuans), une « fusée » (500 yuans) ou une « super fusée » (2 000 yuans) – dont Yuanqian Culture prélevait 10%.

La nuit venue, elle revoyait en ligne les plus intéressés et les plus généreux : elle partageait alors leurs soucis et les cajolait. Elle pouvait jouer avec eux à un jeu électronique, répondre a leurs questions indiscrètes et parfois dévoiler un petit morceau de peau – sans toutefois aller plus loin. Une fois ces prétendants expédiés, elle ne rejoignait son lit qu’à deux ou trois heures du matin, pour réémerger passé midi.

Au bout de quelques mois de labeur, elle avait réussi à fidéliser 900 « followers », ce qui faisait d’elle au plan national, une vidéo-blogueuse de « poids moyen ». Le volume de ses cadeaux frisait chaque mois les 100 000 yuans (12 000 euros) – plus du décuple de ce qu’elle eût pu espérer en un métier en col blanc, diplômé. Mais Zoe Dai, sa superviseuse, se demandait combien de temps elle durerait ainsi, à « brûler la chandelle par les deux bouts » (蜡烛两头烧, zhú liǎng tóu shāo) !

D’immenses aventures, défis, épreuves attendent Nai Nai. Lesquelles ? on le saura dans le prochain numéro ! 

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