En mars, le Président Xi Jinping plaçait les recherches autour de l’origine du virus sur la liste des priorités nationales. Pourtant, cette quête semble complètement noyée par les théories que se jettent au visage les deux grandes puissances mondiales. En Chine, le virus aurait été importé par des militaires américains lors d’une compétition en octobre. Aux Etats-Unis, le Covid-19 aurait fuité d’un laboratoire de Wuhan, une thèse qui n’est peut-être pas étrangère à la stratégie électorale du Président Trump.
N’en déplaise au Nobel de médecine Luc Montagnier (convaincu que des fragments du VIH auraient été injectés au virus pour créer un vaccin contre le sida), au professeur Peter Chumakov et à quelques scientifiques indiens, la possibilité d’un virus fabriqué en laboratoire était fermement démentie par plusieurs experts de renommée internationale dans le magazine Nature le 17 mars, la séquence génétique ne présentant aucune altération imputable à une intervention humaine. Pourtant, ces scientifiques restaient sur la réserve concernant une éventuelle fuite : « même si l’hypothèse d’une émergence naturelle via un hôte intermédiaire est bien plus probable, il est actuellement impossible de prouver ou d’écarter celle d’une fuite d’un laboratoire ».
Ce scénario était évoqué dès le 6 février dans un article de Xiao Botao et Xiao Lei de l’Université de technologie du Sud de la Chine (Canton), rapidement retiré « par manque de preuves directes ». Dans leur rapport, les deux auteurs pointaient du doigt un institut du CDC de Wuhan, à 277m du marché de Huanan, mais aussi un autre laboratoire de l’Institut de Virologie de Wuhan (IVW) à 12km de là – tous deux classifiés P2, un niveau de sécurité qui n’offre qu’un minimum de protection. Pour illustrer leurs doutes, ils se penchaient sur les travaux de Tian Junhua, directeur associé du CDC de Wuhan. Pas plus tard que le 11 décembre, une vidéo promotionnelle vantait les exploits du jeune chercheur : « En 200 ans, le monde a découvert 2 284 types de virus ; en 12 ans, les équipes chinoises du CDC en ont découvert 2 000. La Chine a pris le leadership mondial dans la recherche fondamentale sur les virus ». Dans un autre témoignage de Tian, datant de 2017, le scientifique raconte avoir été attaqué par des chauves-souris lors d’une expédition. Le sang de l’une d’entre elles lui coula sur la peau, le chercheur ayant oublié de prendre les mesures de protection nécessaires. Lors d’un autre épisode, l’urine d’un chiroptère lui goutta sur le crâne. Dans les deux cas, Tian s’isola 14 jours, conscient du grave danger qu’il encourait…
Ce ne serait pas le premier incident de ce type en Chine : en 2004, une négligence d’une étudiante de 26 ans à l’institut national de virologie de Pékin provoquait neuf nouveaux cas de SRAS dont un décès. Pas plus tard qu’en décembre dernier, 96 employés d’un institut vétérinaire de Lanzhou (Gansu) étaient infectés par la brucellose. Le 2 janvier, Li Ning, spécialiste du clonage animal et membre de la prestigieuse Académie des Sciences (CAS), était condamné à 12 ans de prison pour détournements de fonds et pour avoir vendu des animaux de laboratoire (cochons, vaches et du lait) à des marchés locaux. Selon un rapport de 2016, chaque année dans le Hubei, 300 000 animaux sont utilisés à des fins expérimentales. En théorie, il existe des protocoles pour disposer en toute sécurité de leurs carcasses (dont la crémation), mais cela a un coût. Li Ning aurait donc préféré les vendre à des marchés locaux : entre 2008 et 2012, Li et ses collègues auraient empoché 10,1 millions de yuans grâce à ce trafic. Trois jours avant la condamnation de Li Ning, He Jiankui, le généticien « apprenti-sorcier » ayant donné naissance à deux bébés à l’ADN génétiquement modifié, écopait de trois ans de prison…
Si ces incidents ne sont pas uniques à la Chine, tout le monde s’accorde sur le fait que la sécurité des laboratoires chinois doit être renforcée, même au plus haut niveau. Le Président Xi Jinping lui-même appelait à accélérer l’adoption d’une nouvelle loi de biosécurité le 14 février. Trois jours plus tard, le ministère des Sciences et des Technologies mettait un accent particulier sur le traitement des déchets biologiques.
Début 2018, deux câbles diplomatiques américains alertaient sur le manque de personnel qualifié au laboratoire P4 de l’Institut de virologie de Wuhan (IVW), les Etats-Unis s’étant toujours opposés à ce que la France aide la Chine à construire un tel outil, craignant qu’il se transforme en arsenal biologique. Initialement, le P4 devait accueillir 250 chercheurs, mais seulement quelques uns sont présents. 50 scientifiques français devaient également y venir en résidence sur cinq ans, sauf qu’à ce jour, un seul microbiologiste français est sur place, décevant les espoirs de coopération hexagonaux…
Les avertissements américains étaient émis après plusieurs visites à l’IVW des attachés scientifiques et de santé de l’ambassade à Pékin entre janvier 2018 (date de sa certification par les autorités chinoises) et mars 2018. Depuis, toutes traces de ces visites ont été effacées du site web de l’institut. Ces deux câbles soulignaient également que le travail de l’équipe de l’IVW sur la potentielle transmission à l’homme des coronavirus retrouvés chez les chauves-souris représentait un risque de SRAS bis, ces travaux ayant démontré que plusieurs de ces virus pouvaient muter vers l’Homme. Une conférence donnée par le Dr Shi Zhengli, directrice du centre de recherche de l’IVW, à l’université Jiaotong (Shanghai) en novembre 2018 sur ce même sujet, disparaissait aussi du net. Même si ces recherches ont pour objectif de prévenir la prochaine épidémie, plusieurs scientifiques s’inquiétaient dès 2015 de la dangerosité de ces expérimentations rendant un virus plus mortel ou contagieux, appelées « gain de fonction ». L’année précédente, les Etats-Unis publiaient un moratoire sur le financement de telles recherches. Pourtant, les USA avaient précédemment accordé une bourse à l’équipe du Dr Shi à hauteur de 3,7 millions de $…
Interrogé à ce sujet, le Président Trump affirmait le 15 avril qu’une enquête sur la possibilité d’une fuite d’un laboratoire est en cours du côté américain. Il déclarait également en avoir discuté avec son homologue chinois Xi Jinping. Pour prouver sa bonne volonté, Shi Zhengli ne s’opposait pas à l’idée d’accueillir des experts américains dans les locaux du P4 pour mener des recherches et consulter sa biobanque. Officiellement, des chercheurs chinois ont assuré que le SARS-CoV-2 ne faisait pas partie de leur collection de coronavirus.
Pour qu’une visite d’experts étrangers ait lieu à Wuhan, il faudrait que le CDC national émette une invitation. Or, il parait improbable que la Chine fasse une telle requête. En janvier déjà, des scientifiques du CDC américain proposèrent leur aide, une offre qui resta lettre morte… Et même si une délégation était autorisée, les experts seraient triés sur le volet et ne verraient que ce que les autorités chinoises voudraient bien montrer, comme lors des visites de diplomates étrangers dans les camps de « rééducation » au Xinjiang. Dans ces conditions, l’OMS pourrait-elle jouer le rôle d’arbitre et revenir sur place mener l’enquête ? C’est probablement l’option que la Chine préférerait, les autorités ayant déjà ouvert les portes de Wuhan à une délégation internationale pendant un peu plus de 24h mi-février. Mais les conclusions de l’organisation onusienne seraient à coup sûr contestées en Occident, l’instance souffrant d’une forte perte de crédibilité suite à sa complaisance envers Pékin. C’est d’ailleurs ce qui conduisait Washington à suspendre ses 400 millions de $ de financement à l’OMS, laissant le champ libre à la Chine (comme lors du retrait des USA du Conseil des droits de l’Homme à l’été 2018)…
On le voit, faute de preuve concrète, les allégations américaines ne restent qu’à l’état de suppositions. De son côté, la Chine se comporte comme si elle avait quelque chose à se reprocher. Ce faisant, elle n’inspire pas confiance à ses partenaires, et encore moins à ses rivaux.
1 Commentaire
severy
19 avril 2020 à 21:37In viro veritas.