« Extrême colère… Rejet total »: c’est en ce langage fort qu’accueillit (16/10) le ministre Yang Jiechi, l’annonce par G. W. Bush qu’il recevrait le Dalai Lama le lendemain, et que le Congrès le décorerait le surlendemain. Expression qui n’empêcha pas ces rendez-vous d’avoir lieu, lançant la Chine sur la pente des rétorsions indolores : depuis, toute recherche internet sur Microsoft, Google, et autres Yahoo! en mandarin, est réacheminée vers Baidu, le site national.
Puis pour «motifs techniques», Pékin annula sa participation au sommet sur l’Iran des 5 membres permanents du Conseil de Sécurité à Berlin (18/10). C’était l’Amérique et l’Allemagne qu’elle punissait: la chancelière Angela Merkel avait rencontré le pontife lamaïste fin septembre. Cette annulation n’était qu’une parmi bien d’autres rencontres sino-allemandes, tels le symposium prévu à Munich, le Hearing droits de l’homme prévu pour décembre.
Pourquoi cette colère si vive et durable ? Depuis l’entrée en jeu de Mme Merkel en 2006, la diplomatie allemande a pris une inflexion humanitaire qui prend de court la Chine, peu habituée à telles audaces des pays occidentaux depuis 15 ans.
Après l’appel de Deng Xiaoping (1992) à l’éveil économique, les nations industrielles, pour conserver pour leurs fleurons, leurs chances sur ce marché, ont dû éteindre leurs critiques démocratiques, afin de bâtir des partenariats stratégiques. Pour tenter de composer avec leur opinion et leur conscience, les pays riches présentaient régulièrement à la Chine des listes de prisonniers d’opinion, et finançaient des programmes de coopération juridique et judiciaire. Mais après le tournant du siècle, profitant du changement de parti au pouvoir, certaines capitales comme Berlin ou Ottawa recommencèrent à aborder avec Pékin le sujet depuis 15 ans proscrit, tandis qu’au même moment réapparaissaient au Japon les choquantes visites du 1er ministre au sanctuaire négationniste de Yasukuni.
L’accueil du Dalai n’est donc qu’une des facettes d’un malaise plus large. Et l’exemple fait boule de neige. Depuis juin, le prélat fut reçu au Portugal, en Autriche (par le chancelier Gusenbauer), en Australie (1er ministre J. Howard), et le Canadien St. Harper s’apprête à le rencontrer fin du mois. Aussi la Chine tente-t-elle d’enrayer l’hémorragie par la fermeté, qui lui a réussi jusqu’alors.
Mais cet outil, aujourd’hui, atteint ses limites.
[1] Face l’Australie, son fournisseur de gaz et de minerai, pas question de faire pression. Face aux US, de même, des rétorsions sont impensables, vu l’interdépendance.
[2] L’impatience est incompatible avec la prétention de Hu au «soft power ».
[3] Avec les JO qui s’approchent, Pékin doit améliorer les relations.
En somme: les temps changent – même sur le front diplomatique.
Sommaire N° 34