Editorial : ‘Odeur du temps…’

«Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark» : chaque jour, la réplique de Hamlet s’entend réverbérée à l’infini, appliquée à la qualité des produits chinois.

Après les pâtées pour chats frelatées, exportées aux Etats-Unis, et le fourrage teinté pour vaches suisses, on voit Bangkok dénoncer les pesticides dans les épinards, la saccharine dans les abricots secs, les algues plombées. La Haye détruit ou rappelle 2000 matelas pollués au benzène. Wellington dénonce des envois de pulls et pantalons souillés au formaldéhyde ou à l’alcali. Moyennant 100M$ de pertes sèche, Mattel rappelle 18M des jouets les plus vendus, telle la poupée Barbie (risque de botulisme, ou d’aimants avalables). Toys’R’Us veut rembourser ses biberons chinois en vinyle. Nokia, après 100 incidents sur ses portables, va rapatrier 46M de batteries.

Mystère : pourquoi cette tempête de plaintes en si peu de temps, alors que les problèmes sont connus (tolérés) depuis des ans? Une source ose envisager une main noire genre CIA, en oeuvre dans le grand jeu des superpuissances pour priver la Chine d’une part de sa gloire olympique. Plus convaincante, une autre rappelle l’attention mondiale qu’obtient tout pays hôte des Jeux, qu’il le veuille ou non : dix fois plus de journalistes, d’industriels et diplomates qui vont analyser cette Chine en termes globaux, alors qu’elle exige de l’être selon les siens propres. Ici, Pékin se retrouve coincée entre ses exportations qui explosent (24Mt en 2006, +13% pour le seul alimentaire) et la faiblesse de ses contrôles publics -la SEPA (State Environmental Protection Administration), par exemple, ne compte que 300 hommes, contre 17.000 chez son équivalent américain.

Prise de court par cette crise, Pékin a raté sa réponse. En quelques semaines, elle a sorti une panoplie contradictoire de réactions, presque toutes sans effets à court terme—qu’on en juge :

[1] une base de données sur les contrôles de l’import-export,

[2] un panel interministériel (présidé par Wu Yi, déjà sollicitée en2003 pour «sauver la nation» lors de la crise du SRAS – le Syndrome Respiratoire Aigu Sévère),

[3] une liste noire des illégaux de l’import-export,

[4] un livre blanc de la qualité des produits,

[5] une série de descentes sur des usines indélicates,

[6] un label (sticker) de qualité à l’export,

[7] une vive campagne télévisée, de défense des produits chinois, accusant l’Ouest de protectionnisme,

[8]  en rétorsion, des renvois de porc, soja, pacemakers américains, accusés à leur tour de mauvaise qualité. En 4 mois de campagne, Wu Yi espère avoir ainsi remonté la pente…

L’essentiel est ailleurs, hors de ce climat polémique.

En 10 ans, la Chine s’est imposée sur le marché mondial, par sa production de masse à bas prix. A présent, elle prend conscience de l’obligation de qualité—bien plus vite qu’Européens ou Américains ne durent le faire en leur temps. La Chine met en place, dans la douleur, son contrôle-qualité. Ses actions lancées prendront 5 à 10 ans à mûrir. D’ici là, dit l’écrivain Orville Schell, il serait bon pour l’Ouest, d’aider la Chine en partageant son savoir-faire. Pour créer la relation de confiance, mais aussi car toujours plus, nous partageons l’air, l’eau, les marchandises —même notre nourriture!

 

 

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