Remords urbanistiques
Après 20 ans de casse de la ville traditionnelle, éliminant effectivement Hutongs et Siheyuans (ruelles et cours carrées), le pouvoir donne des signes d’état d’âme. Qiu Baoxing, vice-ministre de la construction évoque (10/06) un « troisième cataclysme », après le Grand Bond en avant (1957-1961) et la Révolution culturelle (1966-1976).
Tong Mingkang, n°2 au Bureau de l’héritage culturel renchérit : « c’est comme remplacer un tableau inestimable, par un chromo de bas étage ». Qiu dénonce ces « actes insensés ». Pas insensé pour tout le monde, en fait: construire en hauteur maximise le profit, gâcher le béton permet d’aller vite dans la création des nouvelles grandes fortunes du siècle, partagées entre le promoteur et le haut cadre. L’intérêt est que pour la 1ère fois, la Chine post-révolutionnaire, lâche sa vision de la culture « bourgeoise », et commence à la regretter. Qiu Baoxing ajoute un argument pertinent : le virus du conformisme. A force de suivre partout en Chine la même « quête aveugle du grand, du nouveau et de l’exotique », les planificateurs érigent «1000 villes clones » – il ne dit pas de quoi, mais c’est de l’Amérique. Les urbanistes les plus respectueux, comme à Xintiandi (Shanghai) reconstruisent à l’identique, incluant au passage Starbucks et McDonalds. Modèle sans valeur artistique, mais admiré et reproduit partout en Chine.
NB: À Pékin, le quartier de Jiuxianqiao vit son arasement suspendu le temps d’un référendum (9/06) sur la question de la compensation. Sur 5,473 foyers consultés, 45% furent satisfaits, 23% contre. Suite à quoi le bulldozer reprit le travail. La consultation, une 1ère, permit de constater le ralliement du citoyen à ce programme : troquer pour un peu de confort, son «palais misérable».
Carambouille, et clash réglementaire
L’affaire qui suit est intéressante, en dévoilant un probable pot de vin, un vide juridique, et la tentative d’un tribunal de rendre bonne justice.
En 2004, Modern Osme, firme privée, répondait à l’appel d’offres du Ministère de la santé et de la NDRC (National Development and Reform Commission), le super-ministère de l’économie, pour un lot d’équipements médicaux d’un plan national de médecine d’urgence. Elle perdait le contrat, mais constatait ensuite qu’on lui avait préféré une offre de 40% supérieure, pour 40M¥. Modern Osme a donc logiquement porté plainte auprès du ministère des Finances (MoF), en décembre 2004 : mais le MoF refusa de trancher, se réfugiant derrière le fait que l’instance d’arbitrage, ici, serait… la NDRC. Au bout d’un an de ce dialogue de sourds, Osme déposa une seconde plainte, cette fois devant le tribunal n°1 de Pékin… qui condamna le Ministère des finances en 1ère instance en décembre 2006 : le MoF a failli à son devoir de répondre à la plainte sous un mois, ou bien faire appel devant la haute cour sous 15 jours. Bien entendu, le jugement dénonçait, sans le dire, la prévarication et la collusion qui s’en était suivie, au détriment du privé. Le Ministère, bien sûr, a fait appel, face à ce verdict qui fait l’effet d’un tsunami juridique, empêchant désormais les administrations d’opposer aux plaignants privés un mur de silence solidaire.
La haute cour vient d’ouvrir le dossier (5/06), sans résultat, vu l’enjeu. Mais pour les juristes locaux, que cette affaire soit montée si loin, est un coup de semonce, qui fera date. Quant au législateur, il doit désormais revoir sa copie : pour empêcher que la NDRC ne se retrouve encore à l’avenir, sur ce genre de litige, juge et partie !
Sommaire N° 23