Petit Peuple : L’amour hors de la voie

Peut-être pour compenser un mari handicapé, la mère de Wei Yongkang décida à sa naissance en 1983 à Huarong (Hunan), d’en faire un génie. Dès ses 1ers jours, elle le submergea d’un déluge verbal de poèmes anciens, des tables de multiplications, de pages d’histoire et de tout le programme des écoles primaires.

Contre toute attente, ce comportement délirant porta ses fruits. Assez vite, par ses réactions, l’enfant montra qu’il suivait et retenait. Au bout de quelques mois, ses babillements évoluèrent vers des phrases ordonnées, tandis que sa main, au stylo, traçait ses 1ers idéogrammes. De la sorte, à trois ans il possédait 3000 caractères -assez pour lire le journal, écrire des courtes rédactions. Mais c’est en mathématiques qu’il accumulait les preuves de son génie précoce, exécutant en 3 secondes au plus les calculs mixtes (addition, division, racine carrée…) de l’âge des adolescents.

A ce rythme, il ne lui fallut que 10 ans d’école et collège pour gagner sa place à l’université locale de Xiangtan, puis 4 de plus pour intégrer l’Académie des sciences, à Pékin comme doctorant de 3ème cycle – c’était l’an 2000, il avait 17 ans.

Il ne le savait pas, mais l’ère des succès faciles était sur le point de s’interrompre abruptement, pour une raison sournoise mais indéniable. Jusqu’alors, il n’était qu’un pur esprit, enfant n’ayant jamais conquis son autonomie corporelle. Il ne savait ni se nourrir, ni faire sa toilette ou son lit. Depuis toujours, sa mère s’occupait de ces détails mesquins. Même en fac: à Xiangtan comme à l’académie des sciences, la mère avait la chambre d’à côté et le couvait toujours-elle avait pour ce faire, quitté son emploi sans hésiter.

De cette perversion, les suites apparurent vite. Il rata des examens, et même sa maîtrise, faute de méthode. En 2003, en pleine crise du SRAS, il fut le seul à ne pas respecter les consignes d’hygiène de l’Académie, à ne pas prendre les piqûres obligatoires. Cette fois, c’en était trop: il fut renvoyé.

De retour au foyer, reclus, il se révolta contre la mère. En 2004, il fugua, zigzagua par 18 provinces en autostop, 39 jours avec 500¥ en poche, avant de se faire ramasser à Beihai (Guangxi) à l’autre bout du pays, sans un sou pour se nourrir…

Alors sortit de l’ombre Zhang Jinping, sa prof de naguère. Connaissant son naufrage, et son talent, elle voulut l’arracher à l’orbite délétère où il végétait: elle offrit de le prendre, sous seule condition que les parents acceptent une coupure complète d’un trimestre.

Débuta l’apprentissage. A 5 h. du matin, (lui qui était habitué à son bol de soupe de riz au lit à pas d’heure), elle lui colla en mains balai et serpillière, lui fit récurer l’appart comme un sou neuf. A 7h., ils étaient au marché, à tâter les poireaux, soupeser les oignons. A chaque stand, le jeune Wei devait dialoguer, négocier les prix. Ils passaient le reste du jour au collège de Zhang : elle l’y forçait à discuter avec les collègues, le principal, aider les femmes de charge, tambouiller en cuisine sous les ordres du chef… Après ces mois de marche-ou-crève, un nouveau Wei émergea, plus libre, moins autiste.

En août 2005, un producteur à la TV eut vent de son existence, et flairant la belle histoire, le fit passer à son émission « à franchement parler ». Ce fut l’étincelle de sa reprise des études, après deux ans de césure.

A 1300km, à Shanghai, Xing Guangqian, directeur d’un centre de recherche en astrophysique devina le potentiel de ce cerveau en friche, l’invita à son institut.

Quatre ans après, en juillet 2009, Wei décrochait son doctorat et recevait sur place un poste de chercheur -à 27 ans. Il avait trouvé femme, et venait d’être père.

Pour sa métamorphose, c’était à Zhang Jinping, la maman d’adoption qu’il rendait grâce. A sa mère biologique, il en voulait de l’avoir étouffé tant d’années, à force de monstrueux amour. En chinois, on appelle cela l’« amour hors de la voie » (ài fēi qí dào, 爱非其道)…

 

 

 

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