Li Wenliang était un « monsieur tout le monde ». Il aimait les gadgets technologiques, les compétitions de billard et poster des photos de ses repas sur Weibo. Parfois, il se plaignait de ses conditions de travail en tant qu’ophtalmologue à l’hôpital Central de Wuhan, ou du prix des compléments alimentaires pour les femmes enceintes. En 2011, il s’indignait qu’un journaliste de la CCTV ait été limogé pour avoir osé poser des questions embarrassantes suite à la collision de trains à Wenzhou. Deux ans plus tard, il se réjouissait de l’assouplissement de la politique de l’enfant unique. En novembre dernier, il rêvait d’amener son fils voir la Grande Muraille en automne. Il chérissait son rôle de père, de mari et était un modèle de piété filiale. Il était également membre du Parti.
Le jeune homme de 34 ans avait étudié la médecine à Wuhan, et en avait fait sa ville d’adoption. Le 30 décembre 2019, il avertissait dans un groupe WeChat ses anciens camarades de promo de l’apparition d’un nouveau virus de type SRAS au marché de Huanan, ayant déjà contaminé 7 personnes. Suite à ce message, la police le convoquait le 3 janvier pour propagation de « fausses rumeurs ». Il faisait probablement partie des huit personnes sanctionnées pour ce même délit début janvier. Le 12 janvier, le Docteur Li était hospitalisé après avoir présenté des symptômes de la maladie… A l’époque, les autorités niaient toujours la transmission interhumaine. Le 28 janvier, un juge de la Cour Suprême défendait l’action de Li et des autres lanceurs d’alerte (dont au moins deux autres médecins, Liu Wen et Xie Linka) : « si seulement le public avait écouté ces rumeurs, la population aurait peut-être pris plus de précautions ». Le lendemain, la police tentait de se justifier en affirmant que ces personnes avaient simplement été convoquées à « prendre le thé ».
Le 1 février, le Dr. Li annonçait avoir été diagnostiqué du coronavirus, maladie qu’il aurait contractée au contact d’un patient qu’il traitait pour un glaucome. Depuis son lit d’hôpital, il donna plusieurs interviews pour partager sa version des faits au plus grand nombre. Résonnant comme un testament, Li Wenliang déclarait que la vérité est plus importante que la justice, et désapprouvait l’interférence excessive des pouvoirs publics. Héros malgré lui, il ne se considérait pas comme un lanceur d’alerte, ayant simplement souhaité avertir ses amis… Dans la nuit du 6 au 7 février, après plusieurs annonces contradictoires, son décès était finalement confirmé.
L’annonce de sa mort (670 millions de vues du Weibo) provoqua une vague d’émotion et de profonde colère à travers le pays, d’une ampleur inédite. Les autorités locales étaient blâmées pour la mort de Li Wenliang. « On attend toujours des excuses », écrivaient certains. D’autres postaient que « la punition du médecin sera une honte dans l’histoire anti-épidémique chinoise ». Sur Weibo, sa mort est devenue un catalyseur pour réclamer plus de liberté d’expression : le hashtag « je veux la liberté d’expression » gagnait 2,86 millions de vues avant d’être censuré. En réaction, le quotidien nationaliste Global Times affirmait que la mémoire de Li devait être respectée, mais que la nation devait rester unie face à l’épidémie (suggérant ainsi aux lecteurs d’exprimer leur peine, mais patriotiquement). La Croix Rouge chinoise (critiquée pour sa mauvaise distribution d’équipements médicaux) essayait de se racheter en annonçant une donation d’un million de yuans à la famille du défunt. Plus étonnant, les firmes Bytedance et Qihoo360 promettaient la même somme, manière indirecte d’exprimer leur soutien. Sa veuve niait avoir passé un appel aux donations, mais accepterait un geste du gouvernement, de l’hôpital de Li, ou d’une association caritative.
D’ordinaire, l’opinion est plus ou moins divisée sur la version des faits, mais cette fois, chacun s’accorde sur l’injustice subie par Li Wenliang. Une unanimité dangereuse pour le régime. Depuis Wuhan, le professeur Qin Qianhong va jusqu’à comparer la mort du docteur à celle de Hu Yaobang (ayant déclenché les événements du printemps de Pékin). Sans perdre de temps, la Commission Nationale de Supervision envoyait dès le lendemain une équipe de neuf cadres (huit de la propagande et de la sécurité publique, un de la santé) enquêter sur l’affaire. C’est une décision rare, qui vise à apaiser l’opinion en désignant un bouc émissaire. Mais le régime doit faire face à un dilemme : comment punir des cadres pour calmer la colère du public mais ne pas décourager ceux qui se battent contre l’épidémie ? Il parait improbable que le Parti cède d’un pouce sur son monopole de l’information, mais si le public ne peut s’exprimer, ces crises de confiance seront récurrentes…
2 Commentaires
severy
13 février 2020 à 22:10Qu’est-ce que les cadres dirigeants du Parti attendent pour donner l’exemple et retourner à la base pour se ressourcer. Un bon petit stage au Hubei leur ferait le plus grand bien – du point de vue idéologique, bien sûr – et ferait du même coup au pays le plus grand bien en le débarrassant de leurs parasitaires existences. Voilà qui serait faire preuve d’une conscience professionnelle digne des éloges de toute la population ravie qu’un parasite en chasse un autre autrement plus contagieux.
Magic Lu
26 février 2020 à 18:05et toi, severy, à part « donneur de leçons » et « docteur es bashing », tu fais quoi dans la vie, pour montrer l’exemple ?
Raconte nous, çà sera plus intéressant que de lire quelqu’un qui s’écoute parler !