Il y a un an à peine, Li Meimei, croyait sa vie ratée. Dans son Yanshi natal (en province du Henan), son existence avait pourtant débuté sous d’excellents auspices à la ferme de ses parents éleveurs métayers, une position assez prospère pour lui permettre d’étudier, et même de découvrir ce qui devait devenir la passion de sa vie: l’accordéon et le piano. A 15 ans, elle avait réussi son entrée au conservatoire de Luoyang, puis raflé durant trois ans les prix aux concours musicaux de la région. De tels succès lui avaient monté à la tête. En juin 2008, diplôme en poche, elle montait à Pékin, fleur de province, décidée à conquérir au pas de charge les TV, radios et salles de concert : la capitale lui déploierait le tapis rouge…
Mais n’est pas diva qui veut : le destin se chargea de le lui apprendre, et de la déniaiser. A peine débarquée sur le quai de la gare, ayant repéré son piano à bretelles, un individu l’aborda, se présenta comme imprésario et lui fit miroiter un emploi à 10.000yuans/mois dans un orchestre à bals. En contrepartie, elle devait juste lui verser ce même montant, comme frais d’intermédiaire. Bien naïve, elle lui avait spontanément allongé la somme, un tiers de son pécule. Après quoi l’homme avait disparu pour toujours dans la jungle urbaine.
La suite de son séjour fut à l’avenant. Être star à Luoyang, ne signifiait pas l’être à Pékin. Ici, faute d’être techniquement très au dessus des autres, ou fortement pistonnée, elle n’avait aucune chance. Meimei s’en rendit compte et quand sa bourse fut plate, s’en retourna chez papa-maman.
C’est alors que Mme la Chance daigna enfin lui sourire. Rabâchant son échec, depuis des mois, elle ne faisait plus que de la musique à la ferme. Or, voilà qu’un jour, le propriétaire des lieux et des vaches passa les voir, pour leur poser une bien étrange question : le père aurait-il changé l’alimentation du bétail ? Le volume de la traite accusait une hausse de volume anormale, et une poussée du taux de crème. Mais vraiment non. le père ne voyait pas…
Quelques jours après, alors que jouait Meimei devant l’étable, la lumière se fit en lui: dans les stalles, sous l’effet lénifiant de la mélodie, les vaches qu’il avait rentrées une demi heure plus tôt énervées par la chaleur et les taons, regagnaient leur calme et ruminaient avec bel appétit !
Les semaines suivantes père et fille firent des tests systématiques dans l’étable: avec ou sans musique, avec musique laiteuse ou bien saccadée -cette dernière provoquait la grève perlée des vaches, qui piaffaient de colère. Enfin, ils établirent leur théorie, confirmés par un agronome de l’université du Henan qui s’appuyait sur des études de l’Occident : la diffusion de certains airs, à certains moments, augmentait la traite de 5-10% en volume et la teneur en crème. Ils venaient de décrocher le jackpot, une « technique unique, pour bouffer tout le ciel » ( 一招鲜,吃遍天 yī zhāo xiān, chī biàn tiān)!
Quand ils le lui apprirent, le patron, sans sourciller, leur versa 2000¥/mois en échange des concerts quotidiens de Meimei, qui se mit en outre à dévorer tout ce que la Chine comptait d’ouvrages sur les habitudes du cheptel. Elle commença à constituer son hit-parade des ruminants, et leur composa même quelques mélodies, parmi lesquelles son tu-be indétrônable, le grand air du « miam-miam-Meuh». Depuis, tous les éleveurs du coin se pressent à sa porte pour obtenir à leur tour ses prestations.
Bien évidemment, un gros malin tenta de souffler l’idée, en jouant à ses laitières quelques airs à partir de CD. Mais après des succès initiaux, la traite retomba vite à sa moyenne précédente. La musique n’était pas tout, il fallait aussi maîtriser des paramètres plus subtils, tels l’heure de l’aubade, sa durée, sa fréquence.
Sûrs de leur exclusivité, Meimei et son père (qui a démissionné de son poste de métayer) préparent ensemble la facturation, les séminaires et services d’harmonie bovine. Depuis Pékin, des musiciens jasent aigrement des succès de la mélomane reconvertie dans la musique vachère. Elle les laisse aboyer : plutôt croque-notes bouseuse en Mercedes, que Paganini crève la faim dans l’enfer de la ville !
Sommaire N° 28