Religion : Le Pape sur les traces de Matteo Ricci ?

Le 22 septembre 2018, le Vatican et Pékin signaient un accord très attendu portant sur la nomination des évêques. C’était le premier signe concret d’un rapprochement entre les deux Etats qui n’entretiennent plus de relations diplomatiques depuis 1951. Ce concordat, n’abordant pas la question de la lecture des lettres pastorales ou de la gestion des biens de l’église, était le fruit d’une relation personnelle cultivée entre le Pape François et le Président Xi Jinping, tous deux entrés en fonction en 2013. Quoique non publié, l’arrangement stipulait que les sept évêques issus de l’Eglise catholique officielle, nommés par Pékin, seraient reconnus par le Saint-Siège. Pour sa part, Pékin devait accepter les prélats de l’Eglise « de l’ombre », nommés par le Vatican. Comme on pouvait s’y attendre, dans les diocèses chinois, la mise en pratique de cet accord rencontre des résistances. Selon l’interprétation chinoise, s’il n’y a plus qu’une seule Eglise catholique, les deux communautés, officielle et de l’ombre, doivent fusionner. Or par manque de confiance, nombre de paroisses s’y refusent…

Ces difficultés ne refroidissent pas le Saint-Père. Survolant l’espace aérien chinois le 26 novembre, de retour du Japon, le souverain pontife renouvelait son appel : « j’aimerais vraiment venir à Pékin, j’adore la Chine ». La réponse du ministère des Affaires étrangères chinois était toute aussi chaleureuse : « la Chine apprécie la convivialité du Pape, et sa bonne volonté ». Une rencontre entre les deux leaders, en Chine ou dans un lieu neutre, serait à marquer d’une pierre blanche, car ce désir de visite dans l’Empire du Milieu existe depuis 1177 par la voix du Pape Alexandre III…

Mais pourquoi le Pape François tient-il tant à approfondir ses relations avec la Chine ? D’abord, ce serait une manière de se rapprocher de ses fidèles. Au bas mot, les catholiques seraient 12 millions dans le pays, partagés entre les deux communautés. De plus, le Saint-Père part du principe qu’il n’obtiendra rien s’il attend que la Chine garantisse la liberté de culte. Malgré le risque de lâchage par sa base, le Pape considére que toute avancée est bonne à prendre et sera bénéfique à long terme. Cependant, ce point de vue est loin de faire l’unanimité au sein de l’Eglise. En effet, la chrétienté est sous haute surveillance en Chine depuis la campagne de « sinisation » des religions lancée par Xi Jinping en 2015. Depuis, les catholiques de l’ombre sont victimes de harcèlement, d’arrestations. Croix faîtières et églises sont abattues, et les portraits de Jésus sont remplacés par ceux du Président chinois. Les autres confessions ne sont pas épargnées, notamment au Xinjiang et au Ningxia, tandis qu’au Tibet, Pékin vise à imposer, le moment venu, son propre choix de réincarnation du Dalaï-lama. Face à ces brimades, le Saint-Siège ne se fait pas d’illusion :  de tels risques sont inhérents à la mission pastorale…

La question inverse se pose : pourquoi Xi Jinping est-il favorable à ce rapprochement avec le Vatican ? Ainsi, il regagne un certain contrôle sur les fidèles de l’ombre, et s’assure que l’autorité du Parti est pleinement respectée au sein des lieux de culte. Confiant en sa capacité à contrôler les religions et son opinion publique, le régime ne craint pas qu’une visite papale n’aboutisse à une vague de conversions dans le pays. Ce serait également un joli coup médiatique sur la scène internationale.

Par contre, Taiwan pourrait devenir une victime collatérale à terme, car la Chine imposera évidemment au Vatican la rupture de ses liens avec l’île – une stratégie que la Chine poursuit pleinement ces derniers mois dans le but de confisquer à l’île ses derniers alliés. Afin de pallier aux conséquences de cette rupture inéluctable, le Pape François, selon la rumeur, préparerait un nouveau lien diplomatique pour le moins original avec l’île de Formose : par l’entremise de l’Ordre de Malte, qui offre à Rome l’avantage précieux d’être à la fois chrétien (lié au Vatican) et souverain.

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1 Commentaire
  1. severy

    D’où vient ce chiffre lilliputien de 12 millions?
    La méfiance du Vatican est de rigueur: la visite du pape en Chine pouvant servir à Xi Jinping à faire sortir le lièvre du bois. Une vaste chasse aux catholiques pouvant alors s’ouvrir, à la manière de l’entreprise de lavage de cerveau qui a lieu actuellement au Xinjiang.
    Adopter les règles changeantes de la Realpolitik et abandonner la démocratie taïwanaise pour la dictature chinoise correspondent à faire peu de cas des principes éthiques et de l’esprit chrétien les plus élémentaires.

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