Sous l’impulsion de son nouveau maire de 38 ans, Zdenek Hrib, la capitale tchèque se rebelle. Deux mois après sa prise de fonction en novembre 2018, lors d’une rencontre avec des diplomates étrangers, Hrib refusait de faire sortir le représentant taïwanais de la salle à la demande de l’ambassadeur chinois. En mars, il accueillait le leader du gouvernement en exil tibétain, Lobsang Sangay. Pour l’occasion, le jeune maire renouait avec une tradition instaurée par l’ex-Président Vaclav Havel (premier de l’ère postcommuniste, décédé en 2011) en faisant flotter le drapeau tibétain sur l’Hôtel de Ville de Prague. Il enchaînait par une visite officielle à Taïwan, l’île où il a réalisé son internat de médecine. Interrogé par le Guardian, le jeune maire du Parti Pirate ne s’arrêtait pas là, en critiquant le système chinois de crédit social et affirmant que les investissements taïwanais, notamment technologiques, étaient particulièrement bénéfiques. Enfin, début octobre, il remettait en cause le jumelage de sa ville avec Pékin, car l’accord contenait une clause reconnaissant le principe « d’une seule Chine ». Le jeune maire se justifiait : « cette mention n’a rien à faire dans un accord culturel. Ce principe est une affaire d’ordre politique, de niveau national et qui, de surcroît, concerne deux pays étrangers, et en aucun cas la ville de Prague ». Un argument mal reçu par les interlocuteurs chinois, qui refusèrent de faire disparaître cette clause, et révoquèrent donc le jumelage pour « interférence dans les affaires internes chinoises ». Détail important, lors de sa signature en 2016, cette disposition n’était pas demandée par la Chine, mais par les prédécesseurs de Hrib qui espéraient en échange recevoir des faveurs chinoises (comme deux pandas au zoo de Prague, qui ne sont finalement jamais venus). Pékin menaçait le gouvernement tchèque de représailles si la mairie ne changeait pas rapidement ses positions. S’ensuivait donc une cascade d’annulations de concerts en Chine, dont ceux de la tournée de l’Orchestre philharmonique de Prague…
Pourtant, ces dernières années ont vu un rapprochement sino-tchèque avec l’arrivée du Président Milos Zeman en 2013. De passage dans le pays trois ans plus tard, le Président Xi Jinping promit 3,7 milliards d’euros, notamment dans le tourisme et dans un canal reliant les bassins du Danube, de l’Oder et de l’Elbe. De son côté, Zeman déclarait vouloir « apprendre de l’expérience chinoise dans le contrôle social ». Puis, Ye Jianming, patron du conglomérat privé CEFC, fut pris d’une folie acheteuse dans le pays, rachetant entre autres, des parts dans l’équipe de football FC Slavia Praha, une chaîne de TV, et la firme qui contrôle la compagnie aérienne nationale Czech Airlines… En 2017, le Président tchèque choisissait Ye comme son conseiller personnel, avant que ce dernier ne soit arrêté par Pékin pour corruption l’année suivante.
Cette situation est intéressante sous plusieurs angles. Côté chinois, elle montre que la campagne anticorruption (couplée à celle contre la fuite des capitaux), lancée par Xi Jinping n’a pas été sans conséquences hors frontières. En effet, depuis que Ye Jianming a disparu du paysage, les relations avec le pays le plus à l’Ouest de l’Europe de l’Est, se sont détériorées. Les investissements chinois se sont interrompus, les projets ne se sont jamais matérialisés, le canal promis est à moitié construit. Désabusés, certains Tchèques se disent qu’il n’y a pas tellement à perdre économiquement à soutenir Taïwan ou le Tibet, le volume des exportations de République Tchèque vers la Chine restant bas, tandis que le déficit commercial s’élargit.
Ensuite, il semble que le maire Hrib en ait fait une affaire personnelle, ayant tissé des liens forts avec Taïwan. Mais ce positionnement n’est peut-être pas totalement désintéressé, lui permettant de satisfaire ses ambitions politiques. En effet, en apportant son soutien à la cause tibétaine et à Taïwan, le maire se place en digne héritier du feu Président Havel. C’est un acte rare de rébellion d’un politicien alors que son propre gouvernement prône le rapprochement avec la Chine. Cela démontre la division qui règne au sein du pays sur l’attitude à adopter face à la superpuissance. Une fracture qui était bien visible en décembre 2018, lorsque l’agence nationale de cybersécurité tchèque avertissait que Huawei pouvait représenter une menace à la souveraineté nationale. Milos Zeman accusait alors ses propres services de faire des « coups fourrés », la présidence ayant confié au groupe de Shenzhen le soin de ses télécommunications depuis 2015. « Mis à part pénétrer les cercles d’influence du Président Zeman, le soft power chinois est en échec dans le pays », déclarait le chercheur Rudolf Furst, de l’Institut des relations internationales à Prague. Et cela se ressent dans les sondages : en Europe de l’Est, la République Tchèque est le pays le plus sino-sceptique. Selon les derniers résultats de l’Institut Pew, ils sont 57% à avoir une opinion défavorable du pays – une tendance qui persiste déjà depuis plus de 12 ans. Et le jeune maire compte bien surfer sur cette vague !
Sommaire N° 36 (2019)