Certains observateurs prédisaient au tournant du XXIème siècle que le régime communiste ne survivrait pas sans réforme politique. Or, 70 ans après la fondation de la République Populaire de Chine, celui-ci n’a pas cédé d’un pouce sur ce point et se félicite au passage d’avoir dépassé l’URSS en longévité – celle-ci ayant disparu après 69 ans.
Cette longévité, la RPC la doit avant tout à la longue et éprouvante marche du peuple chinois. Les égarements du régime ayant coûté la vie à des millions de personnes, particulièrement sous le joug de Mao, sont passés sous silence au profit des spectaculaires progrès des quatre dernières décennies. C’est ce rattrapage accompli en un temps record que célèbre le Parti et qui rend fiers les Chinois – à juste titre.
Aujourd’hui, loin de se reposer sur ses lauriers, le régime est inquiet face à la multiplication des défis auxquels il fait face – mais sa crispation croissante ne serait-elle pas à l’origine d’une partie de ses problèmes ?
Au niveau national, les challenges ne manquent pas. Après une croissance à deux chiffres pendant des années, elle perd de la vapeur : en 2018, la hausse du PIB était la plus faible depuis 28 ans (6,6%). Il s’agit alors d’éviter de tomber dans « le piège du revenu moyen ». L’augmentation du niveau de vie a entrainé un renchérissement du coût de la main d’œuvre, ce qui rend « l’usine du monde » moins attractive qu’hier. Le vieillissement de sa population pèse lourd sur son système de retraite. L’Etat lutte contre la fuite des capitaux. Il craint l’endettement des gouvernements locaux. La menace de l’éclatement des bulles immobilières plane toujours. Il faut gérer les surcapacités industrielles tout en maintenant le chômage sous contrôle. Des efforts faramineux sont nécessaires pour ressusciter un environnement dégradé par des décennies de pollution. Des scandales sanitaires ou de sécurité alimentaire d’ampleur éclatent encore, menaçant la paix sociale…
En réaction, le régime rechigne à suivre les traces de Deng Xiaoping sur le chemin de la réforme (encore et toujours repoussées) et de l’ouverture (trop lente). Il se refuse à laisser davantage de place au marché et au secteur privé. Au contraire, Xi Jinping semble avoir trouvé une solution unique qu’il applique inconditionnellement : injecter toujours plus d’idéologie et intensifier le contrôle des entreprises, des masses, et des individus. Pour ce faire, l’imminent système de crédit social sera l’outil rêvé. Mais jusqu’à quel point ce carcan sera-t-il supporté par ceux qu’il enserre toujours plus fort ? Rééducation, répression religieuse, maintien de l’ordre musclé et menaces militaires, que ce soit au Xinjiang, au Tibet, à Hong Kong ou à Taiwan, risquent d’encourager les ardeurs de ceux qui s’opposent à Pékin. A terme, ces politiques pourraient être contre-productives et accroître l’instabilité que le Parti veut à tout prix éviter.
Au plan international, sa politique volontariste et plus affirmée irrite ses partenaires étrangers, notamment le pays de Donald Trump avec lequel la Chine est engagée contre son gré dans un conflit qui va bien au-delà du seul aspect commercial. En un livre blanc du 27 septembre, la Chine se défendait « de toute intention de contester ou de remplacer les USA sur la scène internationale. La Chine n’a aucune ambition hégémonique. Elle souhaite maintenir de bonnes relations avec ses voisins et protéger le commerce international ». Sauf que sa manie de pratiquer le « multilatéralisme bilatéral », semant la zizanie entre les pays d’une même zone ou union (tel le sommet sino-européen « 17+1 »), commence à agacer. De même, la toile d’influence que la Chine tisse à travers le monde via ses Instituts Confucius ou ses projets de l’initiative Belt & Road (BRI) est contestée.
Et cela se reflète dans le dernier baromètre mondial mené par l’institut de recherche Pew auprès de 35 000 personnes entre mai et août, et publié la veille du 70ème anniversaire de la RPC. Sans surprise, au Canada, les opinions positives envers la Chine se sont effondrées de 17% (à 27%), payant le prix de l’arrestation de deux Canadiens en représailles de la détention de la directrice financière de Huawei. Ce n’est guère mieux aux USA, où elles chutaient de 12% (à 26%) par rapport à l’an dernier. La perception négative dans ces deux pays atteint ainsi un record historique.
La Chine enregistre également une forte chute de popularité en Indonésie (-17%), un résultat qui peut être expliqué par la répression que subie la minorité musulmane ouïgoure au Xinjiang. Même situation aux Philippines (-11%), malgré un Président Duterte complaisant à l’attention de son grand voisin, les régulières incursions maritimes chinoises dans les eaux philippines passent mal. En Suède également, l’opinion générale du public envers la Chine est en chute libre (-17%) notamment suite à l’affaire du libraire kidnappé Gui Minhai. Elle se dégrade également en Australie (-12%), aux Pays-Bas (-11%), en Grande-Bretagne (-11%) et en France (-8%).
Au regard de ces chiffres, la Chine rencontrerait probablement moins de résistance face à sa montée en puissance si elle revoyait ses méthodes, sur son territoire comme à l’international. Si elle persiste sur cette voie, elle doit s’attendre à ce que ses relations avec une partie du monde se tendent encore un peu plus. Certes, la Chine est en passe de reprendre la place centrale qui lui revient sur la scène internationale. Mais selon le Premier ministre singapourien Lee Hsien Loong, Xi Jinping devrait ajuster son discours car « en évoquant à nouveau lors du 70ème anniversaire de la RPC, les torts historiques qui lui ont été infligés par les grandes puissances du XIXème siècle, la Chine se présente comme une victime, ce qu’elle n’est plus aujourd’hui, aux yeux de personne. Elle ne peut donc pas réclamer une part du leadership mondial avec ce statut ». Heureusement pour elle, il lui reste encore du temps pour procéder aux ajustements nécessaires avant 2049, année centenaire de la Chine communiste !
Sommaire N° 34 (2019) - Spécial 70ème anniversaire