Diplomatie : Au Cachemire, la pelote s’emmêle entre Chine et Inde

Depuis la fin des années 80, les relations sino-indiennes sont ponctuées d’affrontements et de réconciliations. La pierre d’achoppement porte sur le tracé de leur frontière commune de 3 488 km, du Cachemire à l’Arunachal Pradesh (que la Chine revendique sous le nom de « Sud Tibet »). Le plus sévère incident récent remonte à 2017 suite à l’incursion inopinée, pendant 73 jours, de troupes chinoises pour construire une route sur le plateau du Doklam – même scénario en 2014 au Ladakh, juste avant la première visite de Xi Jinping en Inde en tant que Président.

Les tensions étaient ravivées le 5 août par une décision controversée du Premier ministre indien, Narendra Modi. Fort de sa réélection triomphale en mai dernier, il abolissait l’autonomie, déjà plus théorique que réelle, du Cachemire indienseule province à majorité musulmane du pays. Fidèle à sa promesse de campagne de 2014, Modi révoquait le statut spécial du Jammu-Cachemire, en abrogeant la dispense octroyée en 1954 d’application des articles 370 et 35A de la Constitution. En effet, lors de la partition de l’ancien empire britannique en 1947, Inde et Pakistan se disputèrent le Cachemire, alors état princier. Après une guerre de 12 mois (première guerre du Cachemire), celui-ci sera finalement divisé entre les deux belligérants. Le conflit impliquait aussi – marginalement – la Chine qui contrôle le territoire voisin de l’Aksai Chin enclavé entre le Tibet le Xinjiang, et la Vallée de Shaksgam cédée en 1963 par le Pakistan. Ces deux territoires sont depuis revendiqués par l’Inde.

Pour comprendre les tenants et aboutissants du coup de force de Modi, il faut se représenter les forces géopolitiques en présence, et les deux camps qui se font face, avec d’un côté JaponInde, Australie et États-Unis (alliance soutenue par Paris qui permet des ventes d’armements sophistiqués à Canberra et New Delhi), et de l’autre, la Chine, le Pakistan et l’Iran.

Ainsi, les réactions locales ont été vives. Le Pakistan, par la voix de son Premier ministre Imran Khan cria sa colère, comparant Modi à Hitler et menaçant d’entrainer le monde dans une guerre nucléaire. En théorie pourtant, la décision indienne est une affaire interne, concernant une région sous contrôle indien. De plus, le Pakistan lui-même a procédé à un découpage de « son » Cachemire, le subdivisant en un Gilgit-Baltistan au nord, un Khyber Pakhtunkhwa à l’ouest et un Azad Kashmir à l’est.

Dans l’espoir de mobiliser l’attention internationale, le Pakistan réclama un débat au Conseil de Sécurité de l’ONU, soutenu par son allié inconditionnel chinois, qui finance sur son sol un projet à 62 milliards de $. Mais la discussion, le 16 août, n’est pas sortie du cadre informel (sans communiqué attendu), malgré l’appui discret du Royaume-Uni (sans doute eu égard à la forte communauté pakistanaise sur son sol). Turquie exceptée, nul pays musulman ne s’est levé pour soutenir le Pakistan. A l’inverse, le 24 août, Modi en visite aux Emirats Arabes Unis se voyait décerner l’Ordre de Zayed, la plus haute distinction décernée aux civils dans le pays. 

La Chine a également tenté de mobiliser l’opinion sur le thème du respect des droits des musulmans du Cachemire mais sa propre politique au Xinjiang ou au Tibet ne la place pas dans une situation idéale pour se poser en défenseur de la liberté de religion. De même, la volonté de la Chine d’internationaliser le problème se heurte à son discours sur la souveraineté et contre l’ingérence : il semble difficile d’impliquer l’ONU au Cachemire indien alors que la Chine défend son droit à organiser comme elle l’entend la vie de la population dans ses provinces ou territoires administrés, que ce soit le Tibet, le Xinjiang et plus encore en ce moment Hong Kong.

Tout ceci fait que les relations sino-indiennes traversent un nouveau froid. En une tentative de médiation, le ministre des affaires étrangères chinois Wang Yi devait se rendre en Inde puis au Pakistan début septembre. Mais New Delhi a décommandé, refusant toute visite qui aurait été associée à une escale au Pakistan. Islamabad de son côté, croyait pouvoir expliquer que l’annulation était à imputer à Pékin, en rétorsion à la décision de Modi… L’absence de Wang Yi n’a pas empêché le 6ème dialogue économique stratégique (SED) sino-indien d’avoir lieu à New Dehli le 9 septembre pour évoquer leur coopération économique, priorité de Pékin. Dans ce contexte, les résultats du second sommet informel en Inde entre Xi Jinping et son homologue, programmé en octobre, s’annonçent incertains.

 Par Jean-Yves Heurtebise

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