Editorial : Contradictions chinoises

Alors que l’économie chinoise perd de la vapeur, il faut à tout prix trouver des relais de croissance. Dans ce but, le Conseil d’Etat dévoilait, le 26 août, 6 nouvelles zones de libre-échange (FTZ) aux missions bien distinctes : trois sont frontalières (Heilongjiang, Guangxi, Yunnan) et visent à renforcer le commerce avec leur voisins (Russie, Vietnam, Laos, Birmanie, Thaïlande). Deux autres (Jiangsu, Shandong), provinces côtières plus riches, devront développer les échanges avec le Japon et la Corée. Le Hebei lui, s’ouvrira à l’industrie pharmaceutique et au biomédical dans la zone Jing-Jin-Ji. Ces FTZ ont pour objectif premier de booster le développement de ces provinces, tablant sur leur avantage géographique et servant ainsi les ambitions de l’initiative Belt & Road (BRI). Cela signifie que la Chine disposera de 18 FTZ, dont une dans chacune de ses provinces côtières. Jusqu’à présent, elles ont attiré 70 milliards de yuans d’investissements étrangers et comptent pour 14% des IDE dans le pays. Pour stimuler leur attractivité, de nouvelles mesures visent à simplifier les procédures d’enregistrement et réduire le nombre d’autorisations nécessaires pour opérer dans ces zones. Début août, le gouvernement annonçait également doubler la taille de la FTZ de Shanghai (120 km2 supplémentaires) pour y inclure la zone voisine de Lingang. C’est là qu’est installée la « Gigafactory 3 » de Tesla, dont le lancement de la ligne de production ne devrait plus tarder.

Pourtant, le succès est plus que mitigé pour la toute première FTZ du pays, située à Waigaoqiao (Shanghai). Lors de son inauguration en 2013, elle devait supplanter Hong Kong en tant que première place financière asiatique, notamment grâce à un yuan convertible pour les comptes de capitaux. C’était avant que l’Etat ne parte en lutte contre la fuite massive des capitaux hors de Chine, deux ans plus tard. Aujourd’hui, il faut répondre à une quarantaine de critères pour effectuer une transaction bancaire depuis la FTZ. Du coup, des centaines de comptes restent inactifs, et les banques y assurent donc un service minimum. Ainsi, ces zones spéciales, anciennes comme nouvelles, ne pourront être attractives tant qu’elles seront prises en étau entre les directives conflictuelles de l’Etat : s’ouvrir aux investissements étrangers, tout en contrôlant strictement les sorties de capitaux.

Dans une certaine mesure, c’est aussi la conclusion d’une étude parue début septembre, menée par le célèbre militant écologiste Ma Jun, directeur du Centre pour la Finance et le Développement de l’Université deTsinghua, en collaboration avec le cabinet londonien Vivid Economics et la fondation américaine ClimateWorks. D’après ce rapport, les « nouvelles routes de la soie » menacent sérieusement l’objectif de l’accord de Paris (COP-21) de contenir le réchauffement climatique à +2°C, contredisant ainsi les engagements pris par l’Etat chinois en matière de protection de l’environnement. En effet, les 126 pays ayant accepté de participer à l’initiative BRI chinoise, représentent 28% des émissions de CO2 mondiales. Mais s’ils poursuivent à leur rythme actuel, ce chiffre passera à 66% en 2050. Se basant sur l’empreinte carbone du développement d’infrastructures dans 17 pays BRI (dont Arabie Saoudite, Indonésie, Iran, Pakistan, Philippines, Russie, Singapour, Vietnam …), le rapport calcule que le réchauffement global sera de l’ordre de 2,7 °C. Dans le secteur énergétique, entre 2000 et 2016, 80% des investissements chinois à l’étranger concernent les énergies fossiles (37% en charbon, 30% en pétrole, 13% en gaz naturel), 17% pour l’hydroélectrique, et seulement 3% pour le solaire et l’éolien.

Les auteurs soulèvent ainsi le manque de cohérence des engagements climatiques de la Chine : réduire les émissions sur son sol mais favoriser leur augmentation dans des pays étrangers, au nom du « droit au développement » dont elle est ardente supportrice. Li Gao, chargé au climat, commentait : « en principe, les entreprises chinoises ne devraient pas proposer des technologies désuètes et polluantes, mais cela dépend des ‘standards‘ des pays clients » – et surtout de leur portefeuille. L’étude estime que les émissions des pays BRI d’ici 2050 pourraient être réduites de 39% s’ils optaient pour des technologies plus « vertes ». 12.000 milliards de $ seraient nécessaires pour « carboniser » ces projets d’infrastructures.

Manifestement le gouvernement chinois, réglé sur une série d’objectifs parcellaires et à court ou moyen terme, ne voit pas encore les contradictions entre eux, et n’est pas encore prêt à assumer une vision holistique pour allier croissance et environnement à long terme – question de maturité. Mais la Chine, comme tout le monde sur Terre, doit se laisser le temps de grandir.

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1 Commentaire
  1. severy

    On n’a plus le temps. L’écologie est un impératif de survie pour notre espèce entière, Chinois ou pas. Pourquoi vouloir à tout prix être le dernier à peupler le cimetière?

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