Hong Kong : Le face-à-face

A Hong Kong, la crise couvait depuis déjà des mois. Après une manifestation dimanche 9 juin réunissant un million de personnes, deux millions d’insulaires occupèrent le dimanche 16 les artères de North Point à Central. Vêtus de noir, ils affichaient leur opposition au projet de loi de la cheffe de l’Exécutif Carrie Lam, prévoyant l’extradition vers tout pays—non déjà couvert par un traité (ce qui est le cas de la Chine) –  de quiconque coupable d’un délit puni de plus de trois ans d’emprisonnement. De nombreux jeunes portaient des fleurs blanches, en hommage à un étudiant, mort la veille  par accident— le premier « martyr » de ce mouvement. La marche réclamait, entre autres, le retrait du projet de loi et la démission de la Chief Executive. Le 30 mai, le texte était affaibli – notamment la durée de prison suite à quoi le condamné devient extradable, portée de 3 à 7 ans – mais cela ne suffisait pas à apaiser les inquiétudes.

Deux millions de marcheurs, cela représente 40% de la population. Une telle mobilisation ne s’était plus vue depuis 1997, lors du retour de Hong Kong à la mère patrie, la Chine. Elle dépassait même celles de mai 1989, en soutien au Printemps de Pékin, qui ne mobilisait « que » 1,5 million de personnes.

Pourtant, dans les rues, pas de têtes chenues contre la loi d’extradition . On constate donc une divergence entre générations : les plus âgés ne croient pas à la possibilité de gagner contre la Chine. Ce qu’ils veulent, c’est la paix. Tandis que les jeunes sont prêts à en découdre pour sauvegarder leurs libertés. Une autre raison de leur irritation, est l’arrivée sur leur sol en 20 ans de 500.000 Chinois continentaux aux valeurs et à l’éducation toutes différentes. Souvent opposés à eux dans leur combat pour les libertés, ces migrants défendent invariablement les positions de Pékin, veulent remettre au pas l’île « frondeuse ».

Quelle va être la suite du bras de fer ? Carrie Lam a tenté à trois reprises de présenter ses excuses, sans toutefois céder sur les revendications de cette jeunesse, à savoir le retrait définitif du projet de loi, et sa démission. Les jeunes s’indignaient aussi de la qualification d’« émeute » de leur protestation, par la police – qui faisait finalement marche arrière.

Le conflit s’enlise donc. Le 19 juin, le collectif des manifestants donnait au gouvernement jusqu’au lendemain 17 heures pour accéder à ses demandes – comme prévu, le gouvernement n’a pas cédé. Dès lors, l’organisation déploie une série d’actions  : la conduite « escargot » pour paralyser le trafic, la grève au travail ou aux études, une marche tous les dimanches, et le blocage des accès à différents bâtiments de la police et de l’administration. Cette dernière initiative se déployait dès le 21 juin, exécutée par quelques milliers de manifestants.

Le défilé annuel du 1er juillet, date anniversaire de la rétrocession à la Chine, s’annonce dès lors comme un temps fort de ce climat social mouvementé.

La hantise dans toutes les têtes est celle d’une répétition du scénario de juin 1989 à Pékin. Toutefois, les conditions ne sont pas les mêmes. Depuis, la Chine et Hong Kong ont grandi en instruction et en sens de la responsabilité. La gestion des protestations apparaît aussi plus modéré et mature, pour prévenir à priori tout débordement : les marches avancent dans un calme bon enfant, avec services d’ordre, discipline pour laisser passer les ambulances, et même service de nettoyage des déchets en queue de marche.

Surtout, la  protestation a pris soin d’éviter de s’en prendre à la Chine, pour concentrer ses critiques sur la Chief Executive, en évitant soigneusement toute cible sur le leadership national. Ceci devrait a priori prévenir tout échauffement de la patience du gouvernement central.

Pékin, à travers sa presse, laisse transparaître une exaspération envers Carrie Lam, l’auteur désigné de ce projet qui compromet l’ordre public. Mme Lam s’est montrée incapable de mesurer la capacité de résistance de sa jeunesse, et a bien mal choisi son moment pour tenter le passage en force de sa loi liberticide. Carrie Lam le reconnaît à demi-mots, admettant publiquement la nécessité de « reconstruire la confiance », et les « trois années très difficiles » à venir d’ici la fin de son mandat. En Chine même, le gouvernement central n’aurait aucun état d’âme, une fois passé un certain délai de convenance, à révoquer la fonctionnaire ayant failli à ses devoirs.

Mais ici intervient un léger paradoxe : puisque les jeunes exigent le départ de Mme Lam (qui serait la troisième à se ne pas terminer son mandat depuis la création du poste en 1997), Pékin se sent obligé de la soutenir !

Pour autant, d’après le Sing Pao, quotidien sinophone, Carrie Lam ne contrôle plus rien. Han Zheng, du Comité Permanent, serait descendu de Pékin à Shenzhen le 19 juin lui donner ses ordres, lors d’un réunion secrète. C’est Pékin qui ordonne de suspendre le vote de la loi, et qui exige de maintenir le projet « au frigo », quitte à en reporter le vote à des temps meilleurs. Quoiqu’il en soit, pour des semaines à des mois, Hong Kong est voué à l’agitation, sans apparence de concession possible.

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