Taiwan : Primaires en vue des présidentielles

Depuis 1996, Taïwan élit son Président au suffrage universel. Située à 140 km des côtes chinoises, l’île se revendiquait à l’époque de la loi martiale du Kuomintang (KMT) comme la représentante de la Chine dans son ensemble dans la continuité du régime fondé sur le continent en 1912 par Sun Yat-sen, et transféré sur Taïwan en 1949 par Chang Kaï-chek après sa défaite devant les troupes de Mao. 1996 vit la réélection de Lee Teng-hui (KMT) et l’accélération d’une libéralisation démocratique en profondeur.

Aujourd’hui, l’île de 21 millions d’habitants se prépare à ses 7ème élections présidentielles. De par la Constitution, chaque Président est élu au suffrage universel direct pour un mandat de quatre ans, et il est rééligible une seule fois. 

Les deux partis historiques aux prises, sont d’origine totalement différentes : le KMT Kuomintang (國民黨)est originellement celui de Chang Kaï-chek et du million d’hommes ayant franchi avec lui le détroit de Formose. Tandis qu’en face, le DPP, le Parti démocrate progressiste Minjindang (民進黨)représentait d’abord la population insulaire d’origine, d’ethnies Hakka ou Min’nan, plus naturellement sensible à l’ancrage local de leur politicien. C’est ce parti qui détient aujourd’hui le pouvoir, par le biais de Tsai Ing-wen, Présidente de la République depuis 2016. Très souvent, on présente le DPP comme le parti pro-indépendance, et le KMT comme celui favorable à l’unification. Mais les choses, depuis, ont bien évolué. Aujourd’hui, DPP et KMT partagent une approche reflétant les vœux de la majorité : ni indépendance, ni unification, mais statu quo ou autonomie de fait, permettant de vivre en paix, tout en marquant la différence. Par ailleurs, chacune de ces formations est traversée de courants différents, certains plus modérés, d’autres plus radicaux.

Taïwan, pour ses campagnes présidentielles, s’est alignée sur une stratégie venue des Etats-Unis mais qui a touché aussi la France, à savoir départager les candidats à l’avance, lors de primaires—jusqu’à présent limitées au parti d’opposition. Mais dès 2018, une baisse de popularité de la Présidente Tsai Ing-wen, (du fait de sa politique de diminution des retraites pour raison budgétaire), créditée de seulement 25% d’opinions favorables, a contraint le DPP à envisager des primaires en son propre sein. En effet, au même moment, Lai Ching‑te, son 1er ministre (ancien maire de Tainan) jouissait d’un taux de soutien à 45%, presque le double d’elle. Aussi les primaires devaient-elles départager les deux candidats. Contre toute attente, ce sondage réalisé auprès de 16.000 personnes sélectionnées au hasard, a vu la victoire de Mme Tsai avec une avance de 8,2% sur son rival, et depuis, sa cote de popularité a remonté de 10 points, atteignant 35%. Tsai Ing-wen est considérée à Washington comme plus sûre que Lai, qui a commis l’imprudence de se déclarer « ouvrier de l’indépendantisme ». En effet, il serait une erreur de croire les États-Unis de 2019 prêts à encourager une scission de Taïwan vis-à-vis de la République populaire : tout ce qu’ils réclament, est d’éviter que l’île en soit « absorbée » – nuance !

Au KMT, la course au pouvoir se poursuit, avec pas moins de cinq candidats aux primaires :

– Ancien magistrat, député et transfuge d’un petit parti tiers, le « Parti du Peuple », Chou Hsi-wei incarne le centre-droit. Par rapport à Pékin, il est dans la lignée d’un maintien du statu quo qui n’empêche pas les relations économiques.

– Président du KMT et ex-maire de Taipei, Eric Chu est l’archétype de la droite classique et de l’establishment KMT. C’est lui qui avait perdu les élections de 2016 face à Tsai Ing-wen, ce qui ne le place pas en situation de force. Sa position par rapport à la Chine est celle du KMT, depuis l’époque du dernier Président KMT Ma Ying-jeou, définie à la fois par la négative : contre l’unification avec la RPC, contre l’indépendance de Taïwan, contre l’usage de la force – mais aussi positivement à travers le consensus de 1992, à savoir la reconnaissance mutuelle qu’il n’y a qu’une seule Chine mais que l’identité de cette Chine unique peut donner lieu à deux interprétations différentes des deux côtés du détroit.

– Terry Gou fait rêver, après avoir forgé à la force du poignet son empire industriel de Foxconn, n°1 mondial du matériel informatique, aux centaines de milliers d’emplois en Chine. Sans expérience politique, il suit une ligne proche de celle de Ma Ying-jeou.

– Chang Ya-chung, professeur à l’Université de Taïwan (NTU), est le théoricien de la réunification.

– Maire de Kaohsiung (le poumon économique du sud de l’île), Han Kuo-yu s’est fait connaître par sa faconde populiste pro-réunification. Galopant en tête des sondages, il semble favori de Pékin, et des firmes implantées en Chine (Foxconn excepté). Handicap : il inquiète la lourde machine de son parti du fait de ses liens opaques avec le monde de la finance sur le continent. C’est un sujet qui blesse, dans un parti ne s’étant pas remis de son échec de 2016, et qui recherche un retour de la faveur populaire par un effort de transparence.

On devrait connaitre le nom du gagnant fin juillet.

La véritable inconnue de ces présidentielles réside peut-être dans la candidature de Ko Wen-je, l’actuel maire de Taipei, chirurgien de profession. Réélu à la mairie en 2018 sans parti, après avoir défait les champions du KMT et du DPP, c’est un libéral surfant sur un programme d’équidistance vis-à-vis des deux grands partis. Sa popularité hors norme lui valait l’an passé 70% d’opinions positives, du jamais vu pour un homme politique taïwanais. Sa candidature pourrait changer la donne pour janvier 2020. Elle est pourtant plus qu’improbable, vu l’absence de « machine électorale », voire de budget pour financer sa campagne.

Qui sera donc le prochain Président de la République de Chine ? Bien malin qui se risquerait à pronostiquer. Mais à Taiwan comme ailleurs, la vieille règle s’applique : le pouvoir use, et le challenger a toujours beau jeu de dénoncer l’homme sur le trône.

Par Jean-Yves Heurtebise

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