Dimanche 5/07, Urumqi vécut le pire dérapage en Chine en 20 ans, conflit ethnique ayant fait 187 morts, aux trois quart Han. Des violences ont opposé la police à 1000 Ouïghours, acharnés sur leurs voisins Hans: revers consternant pour le régime, à 10 semaines du 60ème anniversaire du Parti communiste chinois.
Vers 18h, une manifestation rarissime se tenait dans le Bazar de la ville : l’ethnie locale voulait se plaindre de violences subies fin juin par ses travailleurs immigrés à Shaoguan (Canton), injustement accusés d’avoir violé deux jeunes filles Han, ils auraient souffert deux morts, au moins. Il y aurait eu une marche, la queue de leur cortège aurait été prise à partie, les affrontements auraient alors débuté. La police a-t-elle tiré, comme l’affirment les Ouïghours de l’exil, qui avancent (sans l’ombre d’une preuve) « 600 à 800 morts » dans leurs rang ? En tout cas, tout de suite, ce fut la rage, des deux bords. Le désir de tuerie, de part et d’autre, mais les Ouïghours plus forts, et plus prêts. matraquage, poignardage, lapidation, bus retournés, boutiques torchées. Dans les hôpitaux, les blessés Han affluent, que le personnel Ouïghour feint ne pas voir… On compte alors un millier de blessés, et 1500 arrestations.
Une fois la ville investie par les forces anti-émeutes – qui étaient prêtes, à l’avance, venues en renfort de différentes régions-, toute la nuit, des personnels évacuèrent les débris et véhicules calcinés, pour rendre à Urumqi un semblant de normalité qu’elle ne retrouvera pas avant longtemps.
Dès le lendemain cependant, les 1,9M de Hans d’Urumqi s’éveillait avec l’idée fixe de la vengeance. Armées de bâtons, pelles et machettes, Des milices arpentaient les rues aux accents de l’hymne national et de slogans comme «exterminez les Ouïghours», ou «l’union fait la force». Brandissant le drapeau rouge, ils coursaient les turkmènes, que des forces anti-émeute parvenaient de justesse, par deux fois, à sauver et à mener en sécurité.
Le pic de la tension intervint le mardi 6 au soir et le lendemain. Toute la question était de savoir si la police (han) accepterait de tirer sur d’autres Hans, afin de protéger les Ouïghours, repliés dans leur quartier au centre ville, au sud de l’Av du Peuple. Car s’ils ne le faisaient pas, un massacre risquait de se produire. Heureusement, les incidents demeurèrent limités.
Le dérapage ethnique
De jeunes soldats, en camion, quadrillaient la ville, hurlant des slogans de stabilité et de solidarité interethnique. Des hélicoptères distribuaient des pamphlets du même effet, et Li Zhi, secrétaire municipal du Parti, annonça sobrement que quiconque pris à assassiner, serait exécuté.
Après ces violences, la Chine entière est en état de choc. Certes, le Xinjiang avait connu des incidents en juillet dernier, à la veille des JO. Mais après des années de surveillance et tracasseries depuis le 11 septembre 2001, toute velléité intégriste ou séparatiste semblait bien brisée -d’autant que l’Islam des Ouïghours est sunnite et modéré, loin d’Al Qaeda.
A vrai dire, la communauté ouïghoure vient de donner sans équivoque l’expression de son désespoir. Signe lié à la récession, mais pas seulement : sans doute joue aussi l’écart de richesse au profit des Hans, leur sentiment de supériorité, la méfiance publique subie par les Turkmènes…
Le drame aurait peut-être pu être évité, si Canton avait publié à temps les 15 arrestations de Hans, suite à l’incident de juin à Shaoguan : alors, les Ouïghours auraient su que leurs agresseurs avaient été punis, et gardé confiance dans la justice de leur pays… Fait remarquable, le Président Hu Jintao a interrompu sa tournée européenne (Italie, Portugal) et renoncé à participer au sommet G8, montrant l’extrême inquiétude des autorités, face à cette blessure sociale intervenant 16 mois après celle de Lhassa. Quoique les deux ethnies soient séparées par 3000 à 4000km et leurs confessions, leurs dérapages ont mis l’accent sur un même malaise.
C’est un cauchemar pour Pékin. A Urumqi comme à Lhassa, son pari de développer sans regarder au prix, mais en bridant les identités au nom de la nation, mène à l’impasse. Comment rallier ces minorités sans rien céder du monopole du pouvoir (dogme non négociable) ?
La formule autoritaire marche partout en Chine, sauf sur cet Ouest. Au Xinjiang comme au Tibet, Pékin dénonce la main de l’étranger. Dalai Lama pour Lhassa, Rebiya Khader, exilée indépendantiste, pour Urumqi. Mais l’explication peut elle suffire ? Que Tibet et Xinjiang, aux cultures sans rien de commun, arrivent aux mêmes réponses extrêmes, devrait faire réfléchir, sur les limites de 50 ans d’intégration pleine de bonne volonté, mais à sens unique.
Sommaire N° 25