48h après l’ultimatum de la mère, la terre s’écroula pour le couple le vendredi 30 novembre 2018 : leur fils disparut à la sortie de l’école.
Chen aurait dû passer le prendre à 18h après l’heure d’étude. Mais son service à l’hôpital s’étant terminé plus tard que prévu, elle n’avait pu arriver qu’à 18h21, pour constater l’absence du petit Huang au portail du collège. C’était anormal, l’enfant aurait dû appeler sa mère sur son portable. Chen supposa d’abord que son fils était rentré tout seul à la maison. Mais quand elle l’appela, l’appareil sonna dans le vide… Elle composa alors le numéro de son mari, au foyer en train de corriger le tas de copies de la semaine. Très inquiet, il lui confirma que leur fils manquait à l’appel.
Chen appela alors le commissariat de Yueqing, qui dépêcha deux inspecteurs. Une heure après, ceux-ci interrogeaient le proviseur, le professeur principal, les plus proches amis de Huang. Dès les premières minutes, le commissaire avait ressenti l’aspect atypique de cette disparition, et la gravité de la situation, dépassant de très loin les frontières de la ville. C’est que le rapt d’enfants, dans l’empire du Milieu, est beaucoup trop courant : chaque année, 70.000 enfants disparaissent, acheminés par des réseaux sophistiqués à l’autre bout du pays pour y être cédés à prix d’or à des familles incapables de procréer et prêtes à tout pour se payer un héritier. De ce fait, l’immense majorité des disparus ne sont jamais retrouvés…
Le cas du petit Huang allait défrayer la chronique, s’agissant du fils d’un professeur très honorablement connu, et dans une ville jusqu’alors épargnée par le fléau. Aussi, en trois heures, ordre était donné de déployer tous les moyens disponibles. 300 agents furent dépêchés de Ningbo et Wenzhou pour aider à ratisser les rues et parcs, à l’aide de chiens policiers. Deux hélicoptères multiplièrent les vols au dessus de kilomètres carrés de lande et de vasières. Chen et Lu, les parents, étaient invités à la TV et à la radio pour exhorter les ravisseurs à prendre contact. Le père appelait tout témoin à le contacter directement sur son portable pour rassembler les témoignages. Dès le surlendemain, il se faisait photographier avec un panneau intitulé « Forte rançon pour personne disparue » (重金寻人, zhòng jīn xún rén), proposant, en dépit de ses moyens financiers limités, pas moins de 500.000 yuans à quiconque lui rendrait son fiston.
Ainsi, Chen obtenait enfin la réponse à la question qui l’avait tant taraudée : Lu, son fidèle mari, aimait son garçon, l’aimait elle-même plus que ses élèves ou sa mission éducative !
Au fil des jours, tant de battage médiatique fit déferler l’émotion. Sur internet, des Sherlock Holmes en herbe émirent diverses possiblités sur l’identité du gang coupable et le lieu de détention de Huang . Intitulé « Wenzhou, enfant disparu depuis 5 jours », l’avis de recherche du ministère de la Sécurité publique du 4 décembre explosa les records, accumulant 230 millions de clics en 24 h, soit un citoyen sur six…
C’est cet engouement qui précipita le dénouement : sous l’effet probable des révélations anonymes, deux coups de théâtre résonnèrent à travers l’actualité. Quand le jour se leva sur la résidence où vivait la famille victime, on constata que Chen et Lu avaient disparu à leur tour. La vidéosurveillance révéla que le couple s’était sauvé à 3h07 du matin, à la cloche de bois. Par la suite, les journalistes découvraient que le couple croulait sous les dettes, devant 7000 yuans de loyer à l’agence immobilière qui avait loué l’appartement.
Dès lors, le dénouement était proche : nul en Chine ne va bien loin, une fois recherché. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, le couple fut retrouvé, et – second coup de théâtre du jour – la mère fut arrêtée pour simulation. Car loin d’avoir été kidnappé, le petit Huang avait passé tout ce temps chez une tante dans un village voisin, alors que la Chine entière le recherchait. Le soir de sa (fausse) disparition, sa mère l’avait d’abord caché dans la voiture d’une amie, le temps de déposer sa plainte.
Le mobile de cette plaisanterie de très mauvais aloi fut révélé par les autorités : suite à sa dispute homérique avec son mari Lu le vendredi précédent, Chen avait simulé l’enlèvement de son fils « afin de vérifier le degré d’affection qu’il nourrissait envers son fils et elle » !
Pour s’être ainsi moquée des forces publiques, et avoir causé à l’Etat des pertes sérieuses – le coût des recherches s’étant monté à plusieurs centaines de milliers de yuans – Chen l’infirmière fut placée en garde à vue, dans l’attente d’un procès dont le verdict était couru d’avance. Pour s’être jouée à ce point de la maréchaussée et pour « troubles à l’ordre public », elle écopera d’une peine d’au minimum deux ans. Chen est forcément penaude, risquant en plus de ces précieuses années de liberté, sa réputation et sa carrière—car son hôpital a déjà entamé la procédure de licenciement. Mais au fond d’elle-même, elle se découvre un brin de fierté, et une ou deux appréciables compensations : d’abord, elle le sait désormais, son mari l’aime. Ensuite, elle a fait connaître à la nation entière son existence. Et son mari l’attend, et son fils aussi : deux années de taule pour s’imposer en égérie nationale du romantisme, ce n’est au fond, pas si cher payé, ose-t-elle se dire !
1 Commentaire
severy
24 mai 2019 à 15:17Super histoire.
On ne sait cependant pas très bien si le mari était dans le coup s’il s’est enfui à la cloche de bois avec sa femme.