Fils de l’exode rural, Hong Wangke a longtemps vécu en va-et-vient entre Leqing (Zhejiang), et Pékin, où sa famille débarqua en 1993 – il avait sept ans.
Deux villes, deux univers contradictoires : depuis sa tendre enfance, Wangke s’est vu ballotté d’école en école, retiré de l’une, réinscrit à l’autre au gré des emplois bouche-trou et des expulsions à la veille des fête, tous les migrants sans 户口 (hukou, permis de résidence) se voyant raccompagnés manu militari au train de leur lieu de naissance. Sa vie fut forcément précaire, son statut lui fermait les portes des bonnes écoles, réservées aux fils de bonne famille locale! Tout cela donna une scolarité en dents de scie, des problèmes psychologiques (dus à l’absence de copains-copines, et de maîtres fixes) et des résultats scolaires à l’avenant !
Une fois en 1ère (gao-er) en 2004, de nouveau exilé à Leqing, ses résultats furent si pitoyables qu’il fut évident que l’an d’après, Wangke n’avait aucune chance au bac. Démotivé, il ne souhaitait même plus réussir. Il savait quel genre de vie il voulait désormais éviter, mais qui lui pendait au nez comme à tous les autres, celle de la pression, du conformisme et de la discipline. Sa chance fut sa mère, Wangli, qui le força à continuer, en le motivant en permanence. De retour à Pékin en -2005, un beau soir de décembre, dans la minable banlieue où ils avaient encore échoué, elle le mit sur les rails en lui conseillant pour son bac une filière dont personne ne voulait parmi les jeunes – filière des ratés – l’option Art. Elle n’avait jamais oublié comment à 7 ans, il lui avait dessiné des « gros saumons » éclatants de couleurs et de mouvements. Pour Wangke, ce fut l’illumination : mais bon sang, mais bien sûr, c’était peindre qu’il voulait, et rien d’autre !
Après des années sans toucher aux pinceaux, le re-démarrage fut difficile. Mais cette fois, il savait pourquoi il travaillait. De 8h à minuit, il croquait jusqu’à 20 esquisses avec pour seul chauffage, un brasero notoirement inefficace, dans la grange qui lui servait d’atelier, durant ce chunjie qui gelait à pierre fendre…
Enfin en juin 2007 arriva le grand jour du gaokao, puis l’annonce des résultats : avec 327 points, score médiocre (il n’en espérait pas plus), il ne pouvait rêver à l’université mais, et c’était ce qui comptait, il lui restait les écoles professionnelles. Quoique les voisins sourient dans son dos face à ce choix nul, Wangke s’inscrivit à l’école de design de l’Académie nationale des Beaux Arts (Pékin) : avec jubilation.
Il y avait de quoi. Après ses années de travail et de chien, son talent avait maturé en art original et fort. A l’école, ses problèmes d’argent s’étaient évanouis. Chaque semestre, avec régularité de métronome, il remportait la bourse réservée aux meilleurs éléments. En mars 2009, sa dernière année, son prof principal admira tant un de ses devoirs – composition de bambous -, qu’il la lui acheta, au prix qu’il demandait (600¥). Depuis, ce maître, pas fou, l’a recruté à son agence privée de design -il commence ce mois-ci.
Les succès s’accumulent. Sa dernière série de bijoux à base de perles est nominée au concours mondial de joaillerie de Dubai, où il est attendu en janvier à la remise des prix. Et avec son professeur, il travaille à une série de pin’s souvenirs de l’Expo universelle de Shanghai de 2010.
Mais sa grande fierté, c’est sa mère qui la lui procure, en répétant à qui veut l’entendre, à son propos: «sans le ciseau et le burin, le jade ne vaut rien. J’ai fait le travail : voilà ma statue !» (玉不琢, 不 成器, yù bù zhuó, bù chéng qì). Autre manière de dire que si l’artiste fait l’oeuvre, c’est la mère qui fait l’artiste !
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