Petit Peuple : Beifang—trop d’aisance nuit

Sur les pentes ocres du Guizhou entre rizières et pinèdes, les bus foncent, avalant les épingles à cheveux, inconscients de leur surcharge de passagers, valises fatiguées et paniers de porcelets rapportés du marché. Touristes et vacanciers, tous ont hâte d’arriver. Tant pis pour les vessies malmenées: on ne s’arrête pas !

C’est pourquoi ce 23/08 à 13:30, quand leur Pullman s’arrêta devait les édicules de Beifang, bourg du pays Miao, ces 2 jeunes touristes (une femme, un homme) poussèrent un soupir de soulagement, voyant arriver leur délivrance. Problème, il n’y avait qu’une place: bien élevé, Lian (nom d’emprunt), laissa passer la femme, et se retira au coin le plus discret à proximité, un bout de mur de brique : mal lui en prit !

Propriété de Zhang Futang, quinquagénaire râleur, la maison était la prunelle de ses yeux. Sacrifiant l’épargne de toute une vie, il venait de faire rebâtir la bicoque de roseau, désormais anoblie par la brique, orgueil de ses vieux jours. Et voila qu’un corniaud de triste sire venait la compisser: Zhang surgit une bêche à la main, hurlant que le jeune homme l’humiliait. Puis rejetant sa bêche (car au fond, il n’était pas méchant), il le flanqua à terre d’un magistral coup de pied au fondement.

Se relevant, Lian se rua sur son agresseur. Les deux hommes roulèrent à terre, avant d’être séparés et d’entamer les palabres. Zhang s’était égratigné la main dans l’algarade, ce qui avait fait baisser son taux d’agressivité. Il ne voulait plus que 10¥ pour se faire soigner: sentant le roussi, le chauffeur se dépêcha de les lui tirer du graisseux tiroir-caisse.

Mais le ciel était pour Zhang. Au coeur du combat incertain, tel Blücher à Waterloo, débarquèrent une 15aine de voisins en goguette : renfort inopiné qui permit au lésé de redonner de la voix. Le préjudice était terrible. L’urine avait pollué le mur à hauteur du four, symbole de fortune et d’harmonie familiale. L’âtre sacré était donc profané et avec lui, la paix du foyer, les mânes des ancêtres, l’honneur du village. A Beifang, on était tous du même clan, 葭莩之亲 jia fu zhi qin tous du même roseau, les uns de la sève, les autres de la tige»).

La position de Lian-le-pisseur se faisait des plus précaires. Avec le guide et le chauffeur comme médiateurs, il était au coeur d’un anneau mouvant qui vociférait des exigences, qui de 22.000¥, qui de 6.000¥, tandis que d’autres amoncelaient des pavés devant le bus pour l’empêcher de prendre la clé des champs…

Comme dans un scénario bien réglé, la police choisit ce moment pour débarquer. Avec ses hommes, le commissaire Yao partageait évidemment les coutumes claniques de la région: assez vite, il offrit au voyageur pour régler le litige, de payer un Xi Zhai (洗寨) ou « lavage du village», à savoir un «3×120». Lian ne saisissant toujours pas, il fallut tout lui dire : il allait régaler Beifang d’un banquet de 120 livres de porc, 120 de riz et 120 d’alcool blanc. Magnanimes, les paysans paieraient le res-te, les poivrons, les oignons, les tomates, la façon… Avec 800¥ d’infirmerie supplémentaires, il y en avait pour 2900¥: c’ était donné, pour la paix des ancêtres! Lian voyait bien les choses autrement, une extorsion de fonds éhontée. Mais il n’avait pas le choix, d’autant que les autres passagers, non solidaires, le pressaient d’en finir : il paya et l’on en resta là.

Sauf sur les forums de l’internet, où toute la Chine pousse un éclat de rire, sous l’hypocrite prétexte d’étude sociétale: de nos jours les rites sont-ils bons ou mauvais ? Les citadins peuvent-ils se comporter à la campagne comme en pays conquis? Bien peu admettent que pour une fois, ce sont les villageois qui ont roulé la ville dans la farine, lui extorquant un festin digne de ceux du village d’Astérix !

 

 

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