Dans l’Empire du Ciel, le mariage prend des rides : toujours moins de noces, toujours plus de divorces ! Pas unique à la Chine, la tendance se retrouve ailleurs, en Occident et Extrême-Orient. Mais au juste, quelles sont les « caractéristiques chinoises » de ce désamour envers l’institution la plus vieille du monde ?
En 2018, les nouveaux couples n’étaient que de 10,1 millions, score le plus bas depuis 2013, et ceux désunis 3,8 millions, double de 2008. Le taux national de « divortialité » (divorces/mariages annuels) était de 38%.
Les provinces au taux le plus faible sont logiquement celles de l’Ouest, moins développées et conservatrices : Tibet (12%), Gansu (19%), Qinghai (21%), Hainan (23%), Guangxi (25%), Yunnan (28%). A l’inverse, les taux les plus élevés se retrouvent dans les métropoles, plus modernes et riches mais aussi plus stressées : Shanghai (48%), Pékin (49%), Chongqing (52%) Tianjin (62%). Ils hantent aussi le Dongbei (provinces du Nord-Est), en récession économique : Liaoning (54%), Jilin (62%). Le Heilongjiang détient la palme avec près de deux mariages sur trois qui flanchent (63%) !
En Europe, on casse la tirelire pour de belles noces, mais en Chine, c’est avant même le mariage qu’il faut avoir un compte bancaire bien garni : pour obtenir le « oui » de la future belle famille, le prétendant doit offrir un logement, condition sine qua non. C’est la première cause d’effondrement de la romance : l’envol des prix des appartements, par rapport aux salaires, ferme la porte du mariage à trop de jeunes.
Dans les campagnes la situation est différente : la pénurie en jeunes filles à marier, stigmate de 25 ans d’avortement sélectif, laisse privés de compagne 42 millions d’hommes, les shèngnán (剩男). Dès lors, les parents marchandent leur héritière à tarif usuraire : maison, voiture neuve, bijoux en or, liasses de billets roses comptées au poids… Au sud du Dongbei, la future mariée se monnaie ainsi 700.000¥ (92.000 €) !
Ces dots exorbitantes ont été débattues en mars au Plenum de l’Assemblée Nationale Populaire (ANP) : un élu du Hebei suggère de suivre le modèle de Puyang (Hunan), et de leur imposer un plafond – il propose 30.000¥ (4000 €).
Si le nombre de mariages baisse, le business se porte à merveille : en 2018, il était estimé à 1820 milliards de ¥ (240 milliards d’€), soit + 24,66% sur 2017, selon le cabinet d’études ASKCI.
Pour lutter contre les « mariages extravagants », la ville de Taiyuan (Shanxi) teste un système de remises sur banquets, photos souvenirs, voyages de noces, bijoux et électroménager acheté chez une série de vendeurs agréés. Via une application mobile, les tourtereaux se voient rembourser 5% de la robe de mariée, ou encore 3¥ par gramme d’or acheté. La mairie disposait en 2018 d’un budget de 95 millions de ¥ pour son expérience laboratoire, qu’elle espère voire reprise par d’autres provinces.
Une autre cause au recul du désir de convoler est l’émancipation féminine : désormais éduquées, elles sont moins disposées à sacrifier leur carrière et leur indépendance à un homme et une famille. Elles assument mieux d’être pointées du doigt comme celles « qui restent » (shèngnǚ, 剩女). Parfois, cédant à la pression des parents, elles se marient, font un enfant, puis divorcent pour devenir mères célibataires, plus libres de gérer leur vie sans avoir à la négocier avec un partenaire.
Une ultime raison n’est pas à sous-estimer : en Chine, l’internet modifie le rapport au sexe opposé. Peu éduqué à l’école au dialogue avec l’autre et à l’expression de soi, les jeunes ont tendance à se replier sur leurs smartphones : ils finissent souvent par se sentir plus à l’aise dans une relation virtuelle qu’auprès d’un être réel. D’autres, grâce à des applications mobiles spécialisées, préfèrent les rencontres fugaces qui les rassurent, en les prémunissant contre le poids d’une relation à long terme !
Sur la motivation au mariage, les études concordent : les chinois font le grand écart entre leurs aspirations idéales d’une union romantique (浪漫, làngmàn), et les considérations matérialistes. Lors du mariage, l’amour n’est pas le critère n°1.
Une fois en ménage, bien des dangers guettent le jeune couple, tels l’incapacité à s’entendre, l’infidélité, la violence conjugale… L’épouse en tire les conséquences : en 2016 et 2017, 73,4% des divorces venaient d’elle, selon la Cour Suprême.
Conséquence inévitable, la natalité chute : avec 15,23 millions de naissances en 2018, les berceaux chinois subissent en 2018 une perte sèche de 2 millions par rapport à 2017. Dans l’espoir de brider la tendance, l’Etat veut étoffer les services à la petite enfance, offrir des impôts allégés aux familles à deux enfants. Lors du Plenum de l’ANP, l’adoption d’allocations familiales a été envisagée. Mais l’endettement maximal des pouvoirs locaux et la levée de boucliers contre toute hausse d’impôts, rend l’idée caduque pour l’heure.
Lors du Plenum, l’Etat aurait pu annoncer le démantèlement complet du planning familial, réclamé par les démographes. Mais il n’en a rien été : Wang Pei’an, vice-ministre de la Commission de la santé et du planning, déclara que deux enfants par couple (quota actuel) « suffisaient amplement aux attentes de la plupart des familles ». La raison réelle est probablement la difficulté pour l’Etat à recaser les millions d’employés du planning familial.
Aussi pour l’heure, vu le coût pour élever un enfant, la Chine semble condamnée à poursuivre son grisonnement à rythme accéléré.
Par Jeanne Gloanec
1 Commentaire
severy
1 avril 2019 à 21:47On frissone rien qu’à la pensée des centaines de millions de retraités qui formeront la Chine de demain, tous alignés en rangs d’oignons, le fauteuil roulant poussé par des robots qui leur couperont les cheveux, qui changeront leurs langes et qui leur réciteront des passages des saintes-Écritures marxistes-léninistes à la sauce Mao Dengxi. Le paradis, quoi!