L’éducation en Chine fait l’objet d’un immense défi : 260 millions de jeunes aux études, 15 millions de professeurs, entre 514.000 écoles et 1000 universités… Entre 2005 et 2014, la part de l’enseignement dans le budget public s’est stabilisée autour de 4,2%. Dans la période, le budget a pourtant quasi-quadruplé, à 330 milliards de ¥. Les résultats sont plus qu’honorables. 99% des jeunes sont scolarisés, et à l’issue des 9 ans de cursus, seuls 5% restent analphabètes.
Depuis une vingtaine d’années, le régime veut et doit aller plus loin, passer à une étape supérieure, pour rejoindre le niveau des pays occidentaux. De cette montée en puissance, le XIX. Congrès de 2017 en avait fait une tâche prioritaire. Les 23-24 février 2019, le Comité Central publiait la feuille de route, en votant deux plans pour l’éducation, l’un à court terme (2018-2022), l’autre à l’horizon 2035.
L’objectif, dans les deux plans, apparaît double, reflétant deux vieilles attentes du régime. Le guovernement veut en effet augmenter les compétences et savoir-faire des jeunes, mais sans oublier de marteler leur loyauté envers le Parti. Aux professionnels de l’éducation, il ordonne d’infléchir l’enseignement vers la créativité, mais avant tout (1ère tâche), d’« introduire la pensée de Xi Jinping sur le socialisme aux couleurs de la Chine pour une ère nouvelle, dans les manuels, les salles de classe et les esprits ».
Ce principe posé, le plan reprend nombre d’objectifs louables : l’égalité des chances de la maternelle à l’université, la formation professionnelle adaptée aux besoins des employeurs, les écoles pour handicapés. Il précise l’espoir de promouvoir des universités du niveau de celles de Londres ou Harvard et la poursuite d’échanges avec les pays partenaires des projets « routes de la soie » (BRI). Il veut aussi multiplier hors frontières les Instituts Confucius et Ateliers Luban, alors que plusieurs universités des USA, du Canada, de France ou de Suède commencent à en fermer certains sur leurs campus, leur reprochant d’encadrer trop activement les jeunes étudiants chinois …
Où en est l’école chinoise de 2019 ? La fondation allemande Mercator se penche sur la question par le biais d’une enquête menée depuis 2018 sur quelques écoles et des dizaines de professeurs disséminés entre les 30 entités régionales en Chine.
La volonté de modernisation de l’école chinoise répond à la fierté patriotique, mais aussi et surtout à la conscience de devoir anticiper le vieillissement de la population. D’ici 2050, les 260 millions de sexagénaires d’aujourd’hui auront presque doublé. Alors, les retraites dévoreront 26% du PIB, contre 7% actuellement. Aujourd’hui quatre actifs supportent un retraité. Demain, ils ne seront qu’un pour chaque retraité. Seule solution : renforcer la capacité des jeunes à s’enrichir par leurs compétences acquises !
La Chine a donc donné l’objectif à toutes ses écoles de développer une « double créativité » (双创) chez l’enfant, à la maison et à l’école – mais assez rapidement, l’objectif de « créativité » a muté en une course à l’innovation. Au bout d’une dizaine d’années, selon Mercator, le pays semble avoir gagné son pari, étant passé de la 22ème place à la 17ème de l’innovation mondiale en 2018.
Mais dans cette course, de nombreux obstacles se sont dressés, et demeureront, à ce qui semble, pour très longtemps : 53% des 80 enseignants interrogés croient que l’accession des enfants à une vraie créativité prendra « une ou plusieurs décennies ». Pourquoi ? De nombreuses raisons apparaissent. Les parents et les professeurs constituent un premier frein, en attendent des enfants des résultats « utiles » ou idéologiques. Dans l’esprit de tous, les écoles doivent former dans un esprit « patriote », et « compétitive » – très tôt dans la vie, l’enfant doit réussir aux examens. Une école qui mettrait devant ces impératifs, celui de créativité, devrait assez vite fermer, faute d’inscriptions. On voit même dans toutes les écoles, les professeurs organiser de coûteux cours privés, ouverts chaque week-end et chaque vacances, qui étudient le programme en avance. Aucun parent n’ose faire l’impasse : à Shanghai, 21% des familles paient plus de 10.000¥ chaque été en ces genres de cours particuliers.
Or la pédagogie chinoise pratique le « gavage », le cours magistral et le par-cœur. Et si les enseignants tentent d’innover pour stimuler l’imagination, ils se retrouvent seuls : ni subvention, ni manuels ! Ici, vient se mêler un autre insidieux problème, l’écart de richesses entre régions. Les provinces riches peuvent doter leurs collèges d’ateliers de création, de salles high-tech ou de salles « labyrinthes » où les enfants doivent apprendre à concevoir des puzzles, et les résoudre par eux mêmes. Les provinces pauvres n’offrent rien…
Enfin, le blocage principal envers plus de créativité vient du régime, dont le principal souci est son maintien à long terme, ce qui dans l’esprit de sa tendance la plus conservatrice, est incompatible avec l’individualisme et la contestation.
Ce faisant, selon Mercator, l’Etat ignore l’approche d’un développement « autocentré », de l’être pour lui-même. Comme par le passé, les forces vives doivent être dépensées pour l’entreprise, la nation, ou le Parti. Et dès lors, nombre de professeurs n’y trouvant aucun avantage personnels, ignorent purement et simplement l’enseignement de la créativité.
Malgré tout, la Chine scolaire évolue. Les enseignants commencent à admettre que l’innovation ne peut pas s’imposer par décret.
Éveiller l’imagination, conclut Mercator, est un choix irrévocable du régime. Mais pour concilier cet éveil et la stabilité sociale, tout en démantelant des millénaires d’autoritarisme, il faudra plusieurs générations.
1 Commentaire
severy
4 mars 2019 à 12:57Excellent article envahi par les fautes. James Needham en son temps a prouvé que les Chinois étaient les rois de l’imagination dans tous les domaines. Ils le sont moins depuis qu’ils vivent dans un système qui les oppresse dès qu’ils sortent des ornières dans lesquelles ils sont forcés de rouler. « L’imagination au pouvoir » est un concept dangereux pour ceux qui détiennent déjà le pouvoir et veulent à tout prix le conserver. A tout jeune pousse pensant avide de liberté, le Parti dispose d’un attirail de faucilles et de marteaux lui permettant de mater « comme il convient » (lire: dans le respect des convenances, c’est-à-dire dans le sang) toute velléité de révolte (lire: de réveil de l’imagination) de la jeunesse. Parions qu’il saura, comme par le passé, en faire (bon) usage.