Quelques jours après la trêve conclue entre Pékin et Washington en marge du G20 à Buenos Aires, l’annonce le 5 décembre de l’arrestation à Vancouver (Canada) de Meng Wanzhou, à la demande d’un juge américain, faisait l’effet d’une bombe. Dès le lendemain, Pékin s’insurgeait et demandait sa libération immédiate.
En effet, Meng n’est pas simplement la directrice financière du n°2 mondial des télécommunications, elle est aussi la fille de Ren Zhengfei, le fondateur et PDG du puissant groupe Huawei. Nommée vice-présidente en début d’année, elle était appelée à lui succéder. Une audition pour sa remise en liberté conditionnelle a eu lieu le 8 décembre et reprendra le 10 décembre. Huawei aurait utilisé une succursale nommée Skycom pour faire des affaires en Iran, contournant ainsi l’embargo américain. Meng risque donc 30 ans de prison pour « complot d’escroquerie au détriment de plusieurs institutions financières ».
Le Président Donald Trump assure ne pas avoir été informé de cette affaire au moment de son dîner avec son homologue Xi Jinping le 1er décembre. Un dîner au cours duquel les deux hommes avaient pourtant conclu une trêve de 90 jours, assortie d’une longue liste des concessions qui auraient été arrachées par le Président Républicain. Une liste qui ressemble surtout à une remise en cause en profondeur de la politique menée en Chine ces trente dernières années : mettre fin aux transferts forcés de technologies, aux atteintes à la propriété intellectuelle, aux barrières non tarifaires à l’accès notamment aux marchés publics, à l’espionnage informatique et au vol de données sur internet…
Autant de dossiers que la Chine ne peut traiter sans revoir sa stratégie d’ensemble. Trump assure que la Chine va satisfaire sous trois mois tous ces motifs de mécontentement, ajoutant même que Pékin va démanteler ses taxes de 40% sur les automobiles « made in USA », comme Tesla. De son côté, la Chine a promis de procéder à des achats massifs de produits américains (pour 1.200 milliards de $ « supplémentaires », notamment en énergie et produits alimentaires).
Mais l’absence de calendrier, de cadres précis de négociation et l’ampleur de la tâche n’ont trompé personne. Les places boursières dévissaient le 5-6 décembre à New York, Hong Kong et Shanghai. Les investisseurs ne croient pas en la fin de cette guerre commerciale et prédisent déjà la reprise des hostilités au 1er mars 2019. « Il y aura un véritable accord ou pas d’accord du tout », martelait Trump dans un tweet le 4 décembre. Autant dire que l’affaire Huawei tombe au plus mauvais moment et préfigure déjà la seconde phase d’une guerre commerciale où tous les coups sont permis…
Après l’autre géant chinois des télécommunications ZTE, c’est à Huawei de devenir l’ennemi public n°1 des Etats-Unis, qui lui reprochent d’avoir violé les sanctions américaines contre l’Iran. Fondé en 1987 par Ren Zhengfei, ancien ingénieur militaire, Huawei aurait des liens avec l’Armée Populaire de Libération (APL) selon les services secrets américains – ce qu’a toujours démenti le groupe.
Cette année, la suspicion est encore montée d’un cran. La CIA et le FBI ont demandé aux membres des “5 yeux” (“Five Eyes »), l’alliance des services de renseignements des Etats-Unis, du Royaume-Uni, du Canada, de l’Australie et de Nouvelle Zélande de redoubler de vigilance face à la menace Huawei.
L’Iran est devenu un levier dans cette posture agressive de la diplomatie américaine pour bloquer les entreprises chinoises dans leur développement international. Huawei est notamment en pointe dans le développement de la 5G et cette affaire risque de lui retirer toute possibilité de vendre ses technologies hors de Chine. La Commission Fédérale américaine des Communications étudie actuellement un texte visant à interdire les sociétés posant un « risque à la sécurité nationale » de toucher des subventions américaines pour le développement des réseaux 5G. Après l’Australie fin août, la Nouvelle-Zélande (27 novembre), le Royaume-Uni (5 décembre), puis le Japon (7 décembre) annonçaient que Huawei ne serait pas associé au développement de cette technologie sur leur sol.
L’affaire Huawei constitue donc un précédent dangereux pour l’économie chinoise. Le groupe a été financièrement choyé par Pékin. Il a ainsi été choisi pour faire passer l’armée chinoise à l’ère de l’électronique. Entre 2005 et 2010, la Banque chinoise de développement lui a accordé une ligne de crédit colossale de 35 milliards de $ pour financer son expansion à l’international. Mais le groupe est du même coup assimilé à un Cheval de Troie du régime, ce qui lui ferme de nombreux marchés et redonne l’avantage à Washington dans la bataille pour le contrôle de ces industries du futur.
Voilà qui ouvre indiscutablement une nouvelle ère dans les relations sino-américaines qui, depuis 1972, n’ont connu que de légères oscillations. La diplomatie chinoise est bousculée par Trump, Président volontaire et imprévisible. Déjà, sous la pression des États-Unis, Pékin a assoupli les règles sur les investissements étrangers en certains secteurs. Ainsi, pour la première fois, Pékin ouvre l’assurance et la banque. Fin novembre, Axa recevait le feu vert de l’autorité de réglementation (CBIRC) pour prendre le contrôle total de sa JV, et Allianz de devenir la première assurance étrangère à constituer une filiale contrôlée à 100%. Début décembre, c’était au tour de la banque suisse UBS, de recevoir le feu vert pour devenir la première banque étrangère à obtenir une participation majoritaire (51%) dans une JV du secteur. JP Morgan et Nomura ont déjà déposé un dossier. Daiwa, Crédit Suisse et Citibank y regardent sérieusement, tandis que Société Générale étudie activement le projet pour 2019.
Cette guerre commerciale avec les Etats-Unis ne serait donc elle pas l’occasion pour la Chine d’un changement fondamental de paradigme dans sa gouvernance économique ? L’avenir le dira…
Sommaire N° 39 (2018)