Le soir du 18 mai 2018 à Changsha (Hunan), Liu Guoqing quitta sa chambrette, prit son bus pour la gare avec sa valisette fatiguée. Un pressentiment ne la quittait plus, de bouleversements qui l’attendaient à l’issue du voyage.
Quand elle avait fui en catastrophe en 2006, laissant derrière elle ses enfants et son mari violent, Liu s’était engouffrée à bord du premier bus venu, sans savoir où elle allait. Au terminus, elle en avait pris un autre, et roulé à l’aventure des dizaines d’heures , épuisée et hagarde, sur des chaussées obstruées de camions poussifs aux noires volutes de diesel.
Aujourd’hui, c’était à bord d’un train qu’elle montait. Le long des 900 km de Chine centrale, elle restait le nez collé à la fenêtre. Elle était hantée par l’idée que ces montagnes, ces rizières et ces villages qui défilaient, étaient comme le film en accéléré de sa vie passée. Aux scènes du paysage se superposaient ses souvenirs de fillette aux champs, de fille hâlée et trop maigre, de sa première rencontre avec ce mari imposé, des premières disputes, du naufrage du couple… Elle revoyait la fois où il avait ramené une amante à la maison, la révolte désespérée qu’elle lui avait opposée, refusant cette humiliation. A présent, ces souvenirs dramatiques ne provoquaient plus en elle rancœur, ni indignation – ils la retrouvaient sereine. La blessure s’était cicatrisée. Et elle se disait qu’à tout prendre, son mari, elle l’avait toujours, s’il voulait bien d’elle – s’il s’était assagi. Après tout, au plan légal, ils étaient toujours mariés.
16 heures plus tard, sur le quai d’arrivée, elle put constater effectivement les grands changements intervenus en son absence : oui, c’était vrai, ce Dazhou-là n’était plus la ville de son enfance. La ville n’avait certes jamais été petite, s’étendant dès les années 80 sur 60 km2. Mais elle avait toujours donné l’impression d’un espace urbain à taille humaine, avec son patchwork embrouillé de bourgs et de rizières, de petits métiers alternant fumoirs à jambon et ateliers pour motos, logés dans des bicoques grise dont la plus haute ne faisait pas quatre étages.
Mais à présent, la ville et ses 6,3 millions d’habitants, la laissa bouche bée : une forêt trépidante de tours de 30 étages aux néons déchaînés, aux écrans géants vantant des alcools ou des salles de gym. Étourdie, Liu avait perdu tous ses repères… Soupirant, elle prit le bus pour Xuanhan, en banlieue, et retrouver sa famille.
Au bercail, Liu fut choyée. Son fils aîné qui travaillait et vivait en ville, était venu pour l’occasion. Sa fille elle, serveuse à Chengdu, n’avait pas pu venir l’embrasser. Son père Liu Shangming, contemplait avec évidente fierté sa tribu presque réunie.
Mais la joie fut de courte durée. Le lendemain lors des visites de courtoisie aux voisins et amis, elle ne put faire un pas sans ouïr chuchoter la rumeur, ni voir poser sur elle des regards d’effroi. Tout le monde l’observait, la touchait, comme pour vérifier sa matérialité. C’est que Meimei l’amie d’enfance lui racontait comment Yu Ningguo le mari éploré avait fait en 2015 la tournée du village, en tenue blanche, pour colporter la nouvelle de sa mort, là-bas à Changsha. Depuis lors, elle était rayée du monde des vivants.
Séance tenante, Liu traina son père au commissariat, espérant dissiper le cauchemar. Mais sur place, le commissaire ne put que confirmer : elle avait été déclarée par son mari « morte de maladie » durant l’été 2015. Puis une fois les 24 mois réglementaires écoulés, le certificat de décès avait été établi en 2017, à la demande du mari, sur base de sa déclaration contresignée d’un témoin, qui n’était autre que Liu Shangming, son père !
De par ce coup de Jarnac, Liu perdait non seulement son existence légale, mais aussi ses droits aux soins à l’hôpital local, et même à son lopin de terre attitré – tous ces petits privilèges réservés aux titulaires du « hukou » (户口), permis de résidence local.
Or, çà, ce fut son père, qui s’arrachant à sa passivité coutumière, éclata de colère : avec bon sens, il réclama confrontation avec les signataires de l’acte, le maire Wen Daojun et le vice-secrétaire Yu Yongjian. En effet, le papi n’avait pas un traître souvenir d’une telle signature, ce qui la rendait hautement improbable !
L’un et l’autre édiles protestèrent de leur bonne foi. Le maire admettait avoir apposé son tampon, mais se dédouanait : n’ayant officié en ville que depuis deux ans, il avait agi sans savoir, sur base de la déclaration écrite du mari. Et qu’y pouvait-il lui, si la signature du père était un faux ? Le vice-secrétaire de même, protestait que le mari était honorablement connu —comment aurait-il pu se douter d’une telle tromperie ? Le seul coupable était bien le mari. D’ailleurs, sa fuite était un aveu. Après avoir « tué » administrativement sa femme, il s’était remarié tout de suite après, puis avait disparu sans laisser de traces… Dare dare, le commissariat émit un avis de recherche du mari pour faux en écriture et bigamie.
A présent, Liu veut continuer sa vie comme avant. Peut-être abandonner Changsha, sa ville-dortoir où rien ne la retient, pour refaire une fois encore sa vie ici, proche des siens. Bonne fille, elle ne veut pas faire d’histoires et se dit prête à divorcer. Pas question de vengeance, ni de loi du Talion : pratiquer l’« œil pour œil» (以眼还眼, yǐ
1 Commentaire
severy
26 novembre 2018 à 13:08Il semble bien, à la lecture de ce tragique récit que tout n’est pas parfait dans le paradis sur terre. Oh! excusez-moi, je confondaiss avec la Corée du nord…