L’excédent commercial chinois dans le commerce bilatéral avec les Etats-Unis s’est encore alourdi de 15% depuis janvier, aggravant la tension entre ces deux pays. Depuis juillet, 25% de taxes compensatoires des USA frappent 818 produits chinois -autos, pièces aéronautiques et informatiques, en sus des taxes précédentes sur l’acier et l’aluminium. Pour rééquilibrer les échanges, forcer la Chine à ouvrir des segments encore interdits de son marché et à bannir le piratage, le Président D. Trump menace d’étendre la rétorsion dès le 1er janvier 2019 à la totalité des exportations chinoises sur sol américain.
Pour être plus sûr de se faire entendre, l’Oncle Sam déserte les grands rendez-vous commerciaux. Début novembre, les Etats-Unis étaient la seule puissance sous-représentée à la Foire internationale de Shanghai (CIIE). Le montant officiel des contrats s’élevait à 57,8 milliards de $, dont la plupart étaient conclus bien avant l’événement. En même temps, à l’autre foire, celle de Canton, les ventes chutaient e 30% et à Yiwu, plus gros marché de gros de la planète, les commandes de Noël vers les Etats-Unis étaient réduites de 40%. Moins de clients, plus de taxes… Les perspectives pour 2019 sont pour le moins brumeuses ! « Nous savions bien que notre économie dépendait trop de l’export », explique Fran Wang, experte au Caixin Financial Group, « le gouvernement tente d’inverser la tendance, mais ça prend du temps ».
Comme chaque année, les promotions de la « fête des célibataires » du 11 novembre sur internet devaient redonner du baume au cœur, grâce à ces 24h de ventes folles, sous prétexte d’aider les cœurs solitaires à s’installer. Les chiffres annoncés ont effectivement été triomphaux, avec 31 milliards de $ chez Alibaba, et 23 milliards de $ chez JD.com, les grands rivaux (record battu, surtout chez JD avec +27% par rapport à 2017). Mais ces chiffres peuvent tromper : entre 20% et 40% des produits commandés sous l’hystérie collective du 11.11, devraient être renvoyés après coup.
Une autre donnée prête à réfléchir : le cabinet américain Azoya note que 10% des achats concernent des produits étrangers, taux qui passe à 40% pour les acheteurs de la « génération Y » (nés entre 1981 et 2000). Or, ces jeunes sont l’avenir de la consommation chinoise : dès 2030, ils devraient réaliser 20% des achats annuels des ménages… C’est donc cette tranche de clientèle que les marques nationales vont devoir reconquérir, si elles veulent sauvegarder leur chiffre d’affaires de demain. Et elles ne le feront qu’en rendant leurs produits compétitifs, en matière de qualité, de sophistication, de SAV. Autrement dit, les groupes chinois auront des milliards de $ à dépenser en formation et en R&D.
D’autres nuages sombres se profilent. De janvier à octobre, selon l’ONG China Labour Bulletin, 1.444 manifestations et conflits sociaux en entreprises chinoises ont eu lieu, surtout dans le delta des Perles (Guangdong), avec 15% dans les usines et 48% dans le bâtiment. De même source, sous le ralentissement de la demande, 2 millions d’ouvriers perdaient leur emploi en 2018. Pour l’heure, le chômage reste stable, entre 4,8 et 5,1% dans les grandes villes de l’Est. Mais, selon les projections du quotidien FT, la guerre commerciale avec les Etats-Unis pourrait coûter à la Chine 2 à 3 millions d’emplois en 2019, car la baisse de l’export vers les USA n’est pas rattrapée par des hausses vers Afrique et Amérique du Sud, ni par la consommation intérieure.
Pékin tente donc plusieurs stratégies de compensation. La première consiste à masquer un bilan trop clair de la situation, pour éviter une explosion de « grogne ». Ainsi, la Chine est le seul pays à ne pas titrer dans sa presse sur les effets des rétorsions américaines. Inquiets pour leur poste, les économistes chinois interrogés refusent de répondre, sauf pour répéter le credo du Président Xi Jinping en ouverture du CIIE : il n’est d’avenir qu’en le libre-échange. Pékin fait face ici à un problème de fond : ayant bâti sa légitimité sur la croissance, il ne peut s’en passer.
Autres moyens pour compenser la baisse des exportations : le Conseil d’Etat promet de baisser les impôts sur les bas revenus, et d’alléger le fardeau fiscal des PME privées qui sont 97% des firmes du pays, 60% du PNB et 80% de l’emploi urbain.
Mais le scénario n’est pas tranché : le débat reste indécis entre conservateurs partisans d’un stimulus massif comme en 2008, et réformateurs tel le Premier ministre Li Keqiang, qui dès septembre, prônait la « simplification de l’administration, délégation des pouvoirs, dérégulation et le renforcement des services pour faciliter la vie des entreprises et des gens ».
En novembre, les conservateurs semblent l’emporter. Le yuan dévisse face au dollar – la Banque Centrale doit le soutenir. Les dépenses d’infrastructures remontent depuis juillet, et les injections de liquidités font rejaillir le spectre d’une inflation et d’une dette publique galopantes.
En face, les réformistes ne désarment pas. Les économistes Hang Weiying et Sheng Hong dénoncent un modèle chinois « peu différent du capitalise occidental ». Croire qu’un secteur public surpuissant, une gouvernance autoritaire pourraient tirer le pays de la crise, serait une illusion. La vraie raison du passage à l’acte des USA devrait être cherchée dans la montée en puissance de l’Etat… Mais là encore, Pékin veille au grain, refusant le débat. Invité à donner une conférence à Harvard, Sheng Hong a été bloqué à l’aéroport de Pékin, sous prétexte de « sécurité nationale ».
Sur le front diplomatique, on attend beaucoup – probablement trop – du tango que doivent danser D. Trump et Xi Jinping au prochain G20 en Argentine au 1er décembre.
Comme toujours, Liu He est aux avant-postes à Washington pour préparer l’agenda de la rencontre. Mais le sherpa de Xi Jinping ne trouve pas la clef pour débloquer la situation. Si aucun accord n’est trouvé rapidement, il faut redouter que 2019 se présente sous des augures difficiles.
Par Sébastien Le Belzic
1 Commentaire
severy
20 novembre 2018 à 14:33Il faut craindre que « le tango » que doivent danser Trump et Xi ne soit un tango des coups de pied au cul.