Par Alex Payette, analyste politique
Après un procès-éclair de quelques heures le 28 mars, le PDG du groupe d’assurance Anbang (安邦保险集团), Wu Xiaohui (吳小暉), 51 ans, était officiellement condamné le 10 mai à 18 ans d’emprisonnement pour fraude et détournement de 12 milliards de $. Wu Xiaohui débuta son procès avec une attitude cavalière, qui ne pouvait que le mener à une condamnation, contestant toutes les charges contre lui, confiant dans ses protecteurs… Puis retournement de situation, Wu choisissait finalement de plaider coupable.
Au regard des montants incriminés, Wu encourait la prison à vie. Une peine de 18 ans peut donc paraître clémente. Pourtant, dernier rebondissement, Wu faisait appel de sa condamnation le 30 mai. Son avocat annonçait également que Wu serait représenté en appel par Li Guifang, qui fut également un des deux défenseurs de Bo Xilai lors son sulfureux procès en août 2013.
La saga Anbang avait commencé avec l’arrestation en juin 2017 de Wu Xiaohui, suite à l’enquête des services de Wang Qishan, l’ancien chef de la police interne du Parti (CCID – « jiwei »), devenu entretemps vice-Président de la RPC.
Homme de la nomenklatura et milliardaire, Wu était en guerre ouverte avec Hu Shuli, rédactrice en chef du journal Caixin et fondatrice de Caijing, l’un des magazines politiques les plus influents dans le pays. Surnommée la « femme la plus dangereuse de Chine », protégée de longue date de Wang Qishan, Hu Shuli passe pour son officieux porte-parole à travers son journal : elle mène régulièrement la chasse aux tigres financiers, comme dans l’affaire Luneng où elle exposa le rachat en sous-main, à bas prix du club de football du Shandong par un fils de Zeng Qinghong, le lieutenant de l’ex-Président Jiang Zemin.
Wu Xiaohui se croyait à l’abri du fait de son rang, étant l’époux d’une petite-fille de Deux Xiaoping. A ce titre, il était épaulé par des sommités du régime tels Wang Ruilin, secrétaire politique du « Patriarche », ou Chen Xialu, fils d’un des « grands vétérans » de l’Armée populaire de Libération (APL). Cependant face à la machine de la CCID et au dossier rassemblé contre lui par une armée d’enquêteurs, les relations de Wu ne lui furent d’aucune utilité. Wu fut arrêté, démis, et le régime entama le démantèlement, en cours, de son empire d’affaires.
Dans cette perspective, une question mérite légitimement d’être posée : serait-il possible que Ling Jihua, ex-aide de camp du Président Hu Jintao et membre de la « tuanpai », Ligue de la Jeunesse, ait entrainé Wu Xiaohui dans sa chute, par effet domino ? Anbang se trouvait détenir des parts dans la Minsheng Bank, la banque privée depuis longtemps au cœur de la controverse. Une fois arrêté et jugé en 2016, Ling Jihua aurait admis avoir corrompu Mao Xiaofeng, président de la Minsheng. Il n’aura fallu qu’un petit mois pour que Mao soit mis en examen après la chute de Ling dont l’épouse, Gu Liping, faisait partie du « club des femmes de la Minsheng » – comme celle de Sun Zhengcai, l’ex-patron de Chonqqing, et une dizaine d’autres nommées à de hauts postes dans cette banque.
Par ailleurs, certaines sources relatent qu’Anbang aurait servi de tremplin de sortie aux capitaux de certains « princes » du Parti.
Cette affaire sert donc d’avertissement à tous ces empires privés tentés par l’aventure d’une avalanche d’acquisitions hors frontières, laissant au pays une montagne de dettes.
Car cette affaire n’est que la pointe de l’iceberg. Par exemple, Wang Jianlin, patron milliardaire du groupe Wanda, aurait accepté des fonds de Bo Xilai (vieille connaissance du temps où tous deux étaient en poste au Liaoning) et de sa femme Gu Kailai. Les fonds avaient été placés dans plusieurs de ses filiales, tel le groupe Shide dont Xu Ming, le PDG de l’époque (décédé d’une attaque cardiaque en prison en 2015), passait pour le « portefeuille » de Gu Kailai.
Mais alors, pourquoi le groupe HNA (Hainan Airlines), aujourd’hui en mauvaise posture financière, n’est-il pas inquiété ? Sa protection relative serait due à un Wang Qishan ayant validé le prêt bancaire qui avait permis le « décollage » du transporteur aérien fin des années 1990, du temps où Wang présidait la Construction Bank. Cela pourrait également expliquer que Wang (également l’ancien Secrétaire du Parti à Hainan en 2002) ait été à l’origine de la nouvelle zone franche sur l’île tropicale.
On voit donc la détermination de l’alliance Xi Jinping – Wang Qishan de détruire les anciens réseaux d’influence afin d’imposer les leurs. Les nouveaux maîtres de Pékin veulent mettre un frein à l’ancienne élite économique et financière et comptent bien s’attaquer aux holdings qui refusent de se plier aux nouvelles règles. Xi veut que ces groupes repaient l’État pour services rendus. Ce faisant, l’allégeance politique des chefs d’entreprise est testée et de plus en plus mise à l’épreuve.
En ce sens, pour tout groupe étranger avant toute collaboration ou investissement avec un groupe chinois, un effort accru de « due diligence » sur ses soutiens et contacts au sommet apparait aujourd’hui plus nécessaire qu’hier. Il n’est plus seulement question de solvabilité, mais aussi de la preuve de sa loyauté envers le pouvoir.
Sommaire N° 23 (2018)