Suite au second tour de négociations Mnuchin-Liu He, à Washington (17-18 mai), la hache de guerre entre USA et Chine était enterrée. Le 25 mai, un tweet de D. Trump suggérait des progrès : « notre deal commercial avance agréablement », même s’il nécessitera « probablement une structure différente ». Mais le 29 mai, à 4 jours de la 3ème rencontre à Pékin, les tensions resurgissaient : Trump menace toujours de 25% de taxes sur 50 milliards de $ d’exportations chinoises au 15 juin, et une liste de produits high-tech sera publiée fin juin, auxquels les firmes chinoises n’auront plus qu’un accès limité.
Pékin, qui s’y attendait, adjure la Maison Blanche de « tenir ses promesses », de s’abstenir de toutes sanctions nouvelles. En attendant la prochaine rencontre, la Chine mandait discrètement (30 mai) une armée d’experts pour négocier sur tous domaines.
Dans le même souci de ne pas envenimer les choses, venant d’armer jusqu’aux dents 7 îlots en mer de Chine du Sud, la Chine choisit parmi ses négociateurs les plus modérés, pour participer au dialogue IISS-Shangri-La de sécurité asiatique, à Singapour le 2 juin. Elle s’attend à des fortes critiques, notamment venant du Secrétaire d’Etat américain Jim Mattis. Tout en défendant bec et ongles sa souveraineté sur cette étendue maritime, la Chine veillera à ne pas en rajouter !
La raison à cette résurgence de l’agressivité américaine est double. Il s’agit de forcer Pékin à négocier—lui faire réaliser que cette fois, une concession légère et de détail, comme sur une poignée de positions tarifaires, ne fera plus l’affaire. Il y a ces 375 milliards de $ de déséquilibre commercial à rattraper. Il y a surtout ce plan « made in China 2025 » qui force les multinationales à sacrifier leurs secrets industriels, sur l’autel de la sécurité nationale chinoise. Ce plan qui subventionne aussi sans limite ces nouveaux groupes chinois pour leur faire produire à grande échelle ces produits haut de gamme inventés en partie aux USA. Les multinationales étrangères doivent recevoir des conditions « équitables » sur le marché chinois.
Sur ce principe, l’équipe de négociateurs américains menés par des durs tel le banquier Wilbur Ross, ne reculera pas. Trump, pensant à ses élections de mi-mandat, a besoin de résultats. D’autant qu’il vient de se faire recadrer par ses conseillers, suite à une maladresse. Le 13 mai, à la stupeur générale, il octroyait une voie de sortie d’enfer à ZTE, l’équipementier de Shenzhen qui venait d’être puni pour avoir triché sur l’exécution d’une sanction précédente. ZTE n’aurait plus qu’à payer 1,3 milliard de $ pour voir lever ses 7 années d’exclusion du marché américain. Or 16 jours après, voilà que Ivanka Trump recevait une série de droits de marque déposée : elle en disposait désormais de 34, portant sur des douzaines de produits du clan Trump, désormais protégés en Chine. C’était suffisant pour nourrir un soupçon de conflit d’intérêt chez ce président-homme d’affaires, dont la tolérance envers la Chine apparaissait motivée par la défense de son intérêt, plus que celle de son pays.
ZTE entretemps, faisait un pas vers la régularisation en démettant de leurs fonctions (28 mai) un vice-président exécutif et un cadre des opérations étrangères, jugés responsables des fraudes avérées.
Mais le Président Xi Jinping ne prend pas le chemin le plus court vers la normalisation, en ordonnant tous azimuts d’« accélérer l’effort… pour faire du pays un leader high-tech ». Il reste dans la continuité du fameux plan « made in China 2025 », la pierre d’achoppement du grand litige.
La crise bilatérale gagne d’autres enceintes : Dennis Shea, l’ambassadeur américain auprès de l’OMC, y accuse la Chine de mauvaises pratiques « étatiques et hors marché ». D’un revers de manche, son collègue Zhang Xiangchen balaie le reproche : les prouesses industrielles des firmes chinoises seraient dues à « leur labeur et leur génie propre » – au risque de s’enferrer dans un dialogue de sourds dangereux et stérile !
Ailleurs, cette même crainte d’une guerre de conquête déloyale de technologies de pointe par la Chine, agitait aussi le 29 mai à Strasbourg le Parlement européen : son groupe de travail « commerce international » adoptait à une vaste majorité une série de mesures pour protéger les pépites des 28 Etats membres de rachats chinois, et prépare un institut européen de vérification obligatoire des transactions. La liste des champs d’actifs à surveiller est étendue à de nouveaux domaines, tels les média, les « infrastructures électorales », les big data, le biomédical et l’automobile. Les négociations démarreront entre Parlement, Commission et Conseil le 10 juillet. Un « bouclier » de défense communautaire est espéré pour fin 2018.
Signalons pour conclure diverses mesures prises par l’un ou l’autre camp, à travers les cinq continents :
– dans leurs universités, les USA réduisent à une année la durée du visa d’études pour Chinois en domaines technologiques ;
– au Brésil, la firme agro-technologique d’Etat Longping, investit pour augmenter sa part du marché semencier en maïs à plus de 30% (contre 15% actuellement) en 5 ans. Rachetés à DowDuPont en 2017, ses actifs vaudraient alors 8 milliards de $. Démarche commerciale, mais qui vise aussi l’allègement de la dépendance chinoise en maïs envers les USA ;
– à Harare (Zimbabwe) les 29 et 30 mai, la Chine encourage 14 gouverneurs de banques centrales africaines à créer une réserve régionale en yuans—notamment pour rembourser leurs dettes en renminbi envers la Chine. Un tel plan, qui se retrouve dans des banques centrales européennes, est un pas de plus dans la longue marche de la Chine, pour mettre fin à l’hégémonie du dollar.
Toutes ces mesures, et d’autres, montrent bien en filigrane le coût de ce bras de fer entre les deux puissances et leurs alliés historiques. Il impose des pertes à court terme, des investissements coûteux, et donc un frein planétaire à la croissance.
Sommaire N° 21-22 (2018)