Petit Peuple : Nanchong (Sichuan) : He Xiaoping, le terrible secret de famille (3ème partie)

Résumé  : Mère divorcée, He Xiaoping fait tout pour le bonheur de son fils Jinxin. Mais le secret de son acte criminel se fait lourd à porter, car son garçon, elle l’a kidnappé 27 ans plus tôt à Chongqing !

Les choses dérapèrent lors des fiançailles de Jinxin à Nanchong (Sichuan). En effet, la tradition chinoise veut que de clan du mari paie l’essentiel des frais d’installation du couple. Ainsi, une fois acheté à crédit un appartement, Xiaoping ne pouvait plus mettre sur la table les 60.000 ¥, exigés par les parents de la belle—n’en ayant plus que 20.000 ¥ en poche. Sourd aux suppliques du fiancé, le clan de la fille demeura intraitable : Jinxin dut se résoudre à renoncer à cette union.

De cette perte de face, Xiaoping s’en voulut à mort, se jura qu’un tel échec ne se reproduirait plus. Sans égard pour sa fatigue et son âge, elle redoubla d’efforts pour épargner le moindre sou, même sur les vivres et sa garde-robe.

Bon fils, Jinxin prélevait chaque mois 1000 à 2000¥ sur son salaire d’ouvrier en banlieue. Mais sans le lui dire, elle refusait obstinément de les dépenser, préférant les déposer en catimini sur son compte bancaire à lui : « au moins, se disait-elle, quand la police viendra, elle verra que je n’ai pas failli à mes devoirs de mère » !

A la même époque, les relations avec Xiaoqiang, l’ex-mari, s’envenimèrent – il n’avait jamais accepté le kidnapping de l’enfant, mais en était devenu malgré lui le complice. Un jour sous la colère, il menaça d’aller tout déballer à la police, puis se ravisa. Mais en échange, il avait fixé le prix de son silence à 130.000¥, pas un de moins ! La chance de Xiaoping fut qu’elle était fauchée : elle signa alors une reconnaissance de dette, dont Xiaoqiang, au fond pas un mauvais homme, se contenta. Après tout, c’était lui qui avait abandonné Xiaoping avec ce garçon et leur fille, et il ne pouvait nier qu’elle se soit acquittée de la tâche d’élever les deux enfants avec un courage et une efficacité admirables. « Voler ce môme, admit-il plus tard, n’était pas mon idée, mais ensuite, elle a vraiment assuré ! ». Un peu plus tard, il finit par faire amende honorable et déchirera la reconnaissance de dette. 

En 2014, à 43 ans, Xiaoping sentit grandir sans cesse son remords d’avoir brisé l’existence d’une famille. Elle se mit à fréquenter le temple bouddhiste du quartier, brûlant l’encens par boisseaux, se prosternant et marmonnant aux dieux. A la boutique du temple, elle acheta une statuette de Bouddha, qui trôna désormais sur le lecteur DVD du salon. Tous les jours elle priait, implorant son pardon…

Un jour sans prévenir personne, elle retourna en train à Chongqing, dans le quartier de Jiefangbei où elle avait volé le bambin. Elle chercha le domicile de l’oncle Lin, chez qui elle avait passé sa première nuit en ville, puis partit à la recherche de l’endroit où elle avait pris la fonction éphémère de nourrice. Mais deux décennies avaient suffi à rendre la métropole méconnaissable : elle ne retrouva rien. Les ruelles avaient été retaillées en avenues, les lotissements avaient cédé place à des tours de vingt étages, et l’hôpital voisin, son repère de l’époque, avait déménagé. Xiaoping rentra bredouille.

En juin 2017 par hasard, elle tomba sur une émission TV « Bébé retourne à la maison », histoire larmoyante à souhait d’une vieille dame qui recherchait depuis 40 à 50 ans son fils kidnappé. L’effet sur Xiaoping ne se fit pas attendre : en pleurs, elle avoua à ses enfants tout ce passé caché, leur annonça sa décision irrévocable d’aller se dénoncer au commissariat de police. Jinxin, en larmes, l’adjura d’y renoncer—en vain, car elle était déterminée. Cette faute de toute une vie, elle devait en payer le prix. Début juillet 2017, elle se retrouva en salle d’interrogatoire, devant un inspecteur, à confesser son rapt de 26 ans plus tôt.

Quoiqu’endurci par les 100 crapuleries qu’il avait à traiter quotidiennement, l’officier de service ne put s’empêcher d’être touché par l’aveu spontané de Xiaoping que rien n’imposait sinon sa conscience. En accord avec ses supérieurs, il laissa repartir Xiaoping, le temps de « disperser les nuages, laisser apparaître le soleil » (拨云见日, bō yún jiàn rì) – faire toute la lumière sur les faits, avant de faire justice.

Hélas au fil des semaines, l’enquête s’enlisa, le dossier demeurant désespérément vide. Au sommier national des portés disparus, nul cas ne correspondait, sur Chongqing, ni ailleurs. Le quartier de Jiefangbei fut visité, porte-à-porte, par des inspecteurs en quête de témoins—sans résultat. On trouva bien une vieille dame, croyant se souvenir d’un jeune couple avec enfant dans les années ‘90, la mère infirmière, comme l’alléguait la kidnappeuse… mais aucun souvenir d’une disparition d’enfant ! L’appel à témoins dans la presse fit aussi chou blanc. Même le commissaire de l’époque, à la retraite, assura mordicus qu’un tel cas ne s’était jamais posé en 1992, ni avant, ni après !

En désespoir de cause, on passa les parents et le fils au test ADN—si au moins on pouvait confondre la mère d’affabulation, on pourrait boucler proprement toute l’affaire. Mais non, les biologistes furent formels : Jinxin n’était le fils ni de l’un, ni de l’autre !

Autant le dire, aujourd’hui, le mystère reste entier, le temps ayant englouti toute trace. L’oncle Lin est décédé, et le couple qui employa Xiaoping quelques jours de 1992 demeure introuvable. Mais pourquoi ces parents si horriblement spoliés n’ont-ils pas porté plainte ? Avaient-ils aussi quelque chose à se reprocher ? Tout le monde reste déçu, perplexe, à commencer par Jinxin, qui prit le large, refaisant sa vie 1500 km plus au sud comme monteur électronique à Canton. Pour autant, quand on l’interroge sur cette affaire, et sur la culpabilité de la voleuse qui devint sa mère, Jinxin n’en démord pas, sur l’obligation de tout effacer : « ma seule mère, c’est celle qui m’a élevé ». Au tableau noir de la vie, l’amour lave le crime !

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1 Commentaire
  1. severy

    Et la mère, est-elle toujours en liberté?
    L’amour lave-t-il plus blanc?
    L’élevage des veuves noires est-il une activité rénumératrice condamnable?
    Et si le Soldat inconnu était allergique aux fleurs, vous rendez-vous compte de ses souffrances d’outre-tombe?
    Ne me dites pas qu’en cas de grande sécheresse, un squelette parturient risque de perdre ses os.
    Qu’il s’agisse de photographie, de mime ou de béton, tout est une question de pose.
    Et voilà pourquoi votre fille est murée.

    J

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