Dans sa longue marche diplomatique en 2018, la Chine voit se profiler de grands succès en filigrane, mais aussi des chausse-trappes, qu’elle devra franchir toute en prudence.
Dans l’immédiat, il y a cette indisposition avec la Suède, fâchée par la « brutale » arrestation à bord d’un train fin janvier, de son ressortissant naturalisé Gui Minhai en présence de deux de ses diplomates. Gui vivait en résidence surveillée à Ningbo, sa ville natale, dans l’attente d’un procès pour avoir édité des titres licencieux sur des leaders chinois depuis Hong Kong. Cette affaire pourrait s’avérer dommageable pour Pékin : Stockholm est membre du Conseil Arctique. Or cette région polaire est stratégiquement importante pour la Chine. Le 10 février, retournement de situation : dans une interview savamment préparée depuis son centre de détention de Ningbo, Gui Minhai, sous la contrainte, accuse le gouvernement suédois de l’avoir manipulé, et menace même de renoncer à sa nationalité suédoise.
La Chine se soucie aussi de la Corée du Nord, craignant une attaque ou un accident nucléaire sur son sol. Après avoir préparé sa population à un tel scénario en décembre par voie de presse, la Chine effectuait le 5 février un test d’interception d’un missile en vol. Mais vu la tension avec les USA (Trump envisagerait une frappe préventive sur la Corée du Nord), et malgré la fragile trêve des JO d’hiver de PyeongChang (9-25 février), cette crise peut déraper à tout moment.
Avec les Etats-Unis aussi, c’est la guerre des nerfs. Le 31 janvier, Trump imposait 30% de droits compensatoires sur les panneaux solaires chinois, puis qualifiait la Chine de « rival majeur » sur le plan commercial et militaire. Il la menace désormais d’une «très lourde amende » pour piratage de données intellectuelles, et s’apprête à procéder à la « reconstruction et modernisation » de l’arsenal nucléaire américain. À ce feu roulant, Pékin réagit en préparant des taxes sur le sorgho américain (un marché d’1,1 milliard de $ par an et de 4,76 millions de tonnes, destiné au bétail). Et si la Chine veut aller plus loin dans les rétorsions, elle pourrait également frapper le soja américain, dont elle importait 16 millions de tonnes en 2016, pour 14 milliards de $.
Toutefois, malgré les vociférations de Trump, on voit -encore- mal un conflit ouvert éclater : les deux puissances ont trop à y perdre. Pékin adjure toujours Trump de «renoncer à la mentalité de guerre froide », et ce dernier inaugure un plan de visas qui de facto favorisera les travailleurs qualifiés chinois. Qui plus est, Chine et USA commencent même à envisager d’adhérer ensemble à l’accord CPTPP, en vigueur depuis le 23 janvier suite à sa signature à Tokyo par onze nations de la région Pacifique…
La Chine s’attend donc à des difficultés sur le tapis vert en 2018, mais également à d’éclatants succès.
Le premier pourrait avoir lieu avec le Vietnam. Avec ce voisin, elle s’apprête à ouvrir d’ici mai deux points de passage à travers 1280km de frontières communes, gérés selon le principe de « deux pays, une inspection ». Il s’agirait de zones de propriété partagée, sous procédures douanières unifiées et uniques. Ces points seraient situés à Fangchenggang et Pingxiang, entre le Guangxi et les provinces vietnamiennes de Quang Ninh et Lang Son. Lang Son n’est pas un site anodin pour la Chine : en 1981, les troupes de Deng Xiaoping, tentant de « donner une leçon » au Vietnam, avaient en fait subi une défaite cuisante au bout de trois jours.
Le passé est donc oublié, au nom des échanges : le Vietnam est le premier importateur de Chine dans l’ASEAN, et son territoire est vital pour Pékin dans le cadre de son « Initiative Ceinture et Route » (BRI), gigantesque projet d’équipement financé par la Chine…
Un second accord diplomatique solide devrait avoir lieu avec le Vatican, sous quelques mois. Sous prétexte de régler le litige de la nomination du clergé, il permettrait d’ouvrir une nonciature apostolique à Pékin. La Chine se déclare prête, suite à ses « efforts sans relâche » et à une communication « souple et efficace ». Mais l’entente ne va pas de soi du côté de l’église de l’ombre, forte de 10 millions d’âmes. En décembre, deux évêques qui avaient été adoubés par Benoit XVI, ont été priés par le Pape François de céder leur place à des prélats fonctionnaires de l’église officielle.
Pour la Chine, le profit est immense. La normalisation privera l’église réfractaire de son dernier soutien –désormais, le Vatican rejettera la dissidence au régime. Pékin privera aussi Taiwan du dernier « Etat » européen qui la reconnaissait, comme Chine nationaliste.
Pour autant, l’accord est loin de tout régler. Qu’adviendra-t-il des lettres pastorales, que le Saint Siège fait lire en chaire de toutes ses églises sur cinq continents ? Pékin ne pourra pas les accepter. D’autre part, la Chine rendra-t-elle au Vatican une partie des biens confisqués en 1949 ? Quitte à les reprendre à l’association catholique patriotique ? À voir…
Pour le Vatican, cet accord induit trois espoirs—qui ne sont toutefois nullement une certitude. Le premier sera de pouvoir recenser ses fidèles, par le biais d’un sondage qui n’a jamais pu se tenir avant. Le second sera d’échanger plus directement avec la Chine, par le biais d’ambassades. Le troisième relève plus du rêve : le Vatican veut rattraper l’erreur faite au XVII siècle, en laissant la chrétienté de Chine se déchirer à travers la « querelle des rites », ce qui faillit la rayer de la carte de ce continent. Aujourd’hui après 70 ans d’athéisme officiel, la société chinoise exprime une soif de spiritualité qui fait d’elle le dernier vivier apostolique de la planète. En 2014, le professeur Fenggang Yang, de l’université Purdue, estimait que la Chine passerait en 2030 au 1er rang des nations chrétiennes avec 247 millions de fidèles, surtout protestants. Le catholicisme pourrait donc surfer sur cette vague.
1 Commentaire
severy
15 février 2018 à 11:35Un accord entre Vatican et Chine, c’est mettre Dieu sous surveillance.