En ces temps de grands froids, une photo a ému la Chine entière : celle du petit Wang Fuman, 8 ans, arrivant à l’école sans gants ni bonnet, cheveux blanchis après avoir arpenté les collines du Yunnan sur 4,5 km. Fuman vit avec ses grands-parents – ses parents ayant migré en ville.
Fuman est loin d’être le seul. Ils sont 61 millions d’enfants à vivre sans père ou mère (ou aucun), dans des conditions précaires. Dans des provinces du centre, comme Anhui, Henan ou Sichuan, 44% d’entre eux se trouvent à la campagne—la moyenne nationale est à peine plus basse, 35,6%.
Leur seul espoir est l’éducation, plus ou moins gratuite et obligatoire (pendant 9 ans), mais en mauvaise passe faute de crédits. Les 510.000 écoles rurales de 2001 ont fondu à 230.000 en 2010. Les instituteurs ont disparu encore plus vite – de 4,73 millions en 2010 à 3,3 millions en 2013—et cela continue, en raison de leur traitement spartiate. Pour enseigner, garder et même nourrir des hordes d’enfants, ils touchent un salaire de 600 à 2000 yuans maximum. Quelques provinces tentent de susciter les vocations : Sichuan, Hunan offrent cinq années de formation pédagogique gratuite, moyennant un devoir d’engagement ultérieur de 5 à 8 ans. Tong Xiaotao, Président de l’Université de Changsha (Hunan), affirme qu’une fois diplômés, 97% des jeunes instituteurs rejoignent leur poste, généralement dans des villages reculés, de colline ou de montagne. Ce que Li Lei, chercheuse en ONG, dément : la plupart se sauvent, souvent sur le conseil de leurs parents atterrés par les conditions qui les attendent, ou bien ils ne restent qu’un an ou deux.
L’Etat central pourtant, n’est pas sans rien faire : déjà depuis 10 ans, il prend en charge livres et cahiers, les frais de scolarité et les repas de midi pour 10 millions d’enfants défavorisés. En 2016, le Conseil d’Etat publiait un plan de soutien aux enseignants ruraux, avec diverses suggestions d’attraction et de formation des talents. Il promettait hausses salariales et contrats à vie, pour l’instant inexistants. Seule lacune à ce plan : les dépenses (non budgétées d’ailleurs) étaient à charge des pouvoirs locaux…
Reste l’initiative privée de mécènes à la rescousse. Jack Ma, patron d’Alibaba, n’a pas oublié ses débuts de professeur d’anglais avant de devenir milliardaire. Infatigablement, il augmente chaque année son offre de soutien à l’enseignement rural par de nouveaux plans. En 2015, une prime de 100.000 ¥ était versée à 100 instituteurs méritants. En 2016, c’était un bonus à 20 directeurs d’école, 500.000¥ chacun, dont 100.000¥ pour améliorer leurs conditions de vie, 100.000¥ pour leur formation et 300.000¥ pour équiper leur école. En décembre 2017, Jack Ma a lancé un nouveau plan de 10 millions de yuans pour former 100 étudiants à la carrière d’instituteur. Et surtout, lors d’un symposium d’affaires, il a invité 80 riches hommes d’affaires à créer de toutes pièces un réseau national de pensionnats destiné au monde rural. L’idée serait de faire fermer les plus petites écoles (celles de moins de 100 élèves), et de les remplacer par des centres scolaires avec internat, mieux équipés et mieux à même de combler les besoins de ces enfants, également en chauffage et en repas chauds. Ces centres devraient disposer en outre de bus, pour faire la navette pour les ramener chez eux au village, le week-end.
Un dernier système de soutien aux écoles de campagne fonctionne déjà : depuis 2013, certains cours comme celui de Mme Wang Fei d’une école de Huantai (Shandong) sont retransmis par internet partout à travers le pays. Ceci est rendu possible grâce à un effort public de digitalisation des écoles : 87% d’entre elles sont reliées à l’internet. Ces transmissions à heures (scolaires) fixes sont spécialement utiles aux classes dont les maîtres manquent de formation, lesquels exercent alors une fonction de répétiteur. Il est donné ainsi accès aux cours du programme, ou même à des matières non enseignées jusqu’alors, tel l’anglais ou les arts plastiques, tout en offrant parfois des reportages sur des pays, des continents inconnus.
Certes, ce télé-enseignement ne peut pas tout faire : il ne remplace pas un professeur en chair et en os, seul capable de suivre la progression de « ses » élèves et de s’adapter à leur rythme. Mais dans un tel dénuement, c’est un premier pas.
Dernier chaînon du problème de l’école rurale, la démographie vient offrir sa solution inattendue. En 2017, avec 17,23 millions de nouveau-nés, la Chine vit soudain un recul des naissances (630.000 de moins, soit -3,5%). 2016 avait pourtant connu un mini « baby-boom », avec 1,3 million de bébés de plus, grâce à l’autorisation de faire un second enfant par foyer, mais cette tendance n’a pas duré plus d’un an. Les autres couples candidats à un second enfant, soit 6 couples sur 10, renoncent en raison du coût, évalué à 20.000 à 30.000¥/an.
D’ici 2030, les démographes prévoient désormais un recul des naissances évalué entre 300.000 et 800.000 enfants par an. Le déséquilibre des genres ne fera rien pour arranger les choses, avec 32 millions de filles manquant à l’appel suite aux échographies sélectives, pratiquées jusqu’à hier. C’est inquiétant, en particulier pour les quelques 400 millions de Chinois du 3ème âge en 2050, qui n’auront qu’une frêle tranche d’âge de travailleurs pour payer leurs retraites…
En attendant, la propagande chinoise a saisi la balle au bond, en offrant au petit Fuman, accompagné de ses parents, un voyage à Pékin où il fut fêté et traité en héros national—au risque d’oublier tous les autres petits « enfants de glace », comme on surnomme Fuman sur internet.
1 Commentaire
anneribstein
27 janvier 2018 à 22:39La photo capte l’attention. Et l’histoire aussi, à peine croyable, de cette situation de manque cruel d’enseignement dans les zones rurales chinoises. Quand on évoque le développement des inégalités dans le monde aujourd’hui, quel exemple flagrant !