Petit Peuple : Hangzhou (Zhejiang) – La longue marche amoureuse de Lin Fen (1ère partie)

A Hangzhou (Zhejiang), le mari de Lin Fen l’avait quittée. Pourtant, elle était coquette, s’habillait à la mode et lui mijotait de bons petits plats… Mais très souvent, il s’excusait de ne pouvoir rentrer dîner sous des prétextes dilatoires. Ayant une confiance aveugle, elle ne s’inquiétait pas de ne pas le voir rentrer de la nuit, très occupé qu’il était avec son travail. Elle était loin de s’imaginer que son tendre époux courait les filles et vivait pleinement son démon de midi. Elle tomba des nues lorsqu’il l’entraîna au bureau des divorces pour lui arracher sa signature sous l’effet de surprise, mettant ainsi un terme à 15 ans de vie commune.

Depuis, Lin Fen se battait courageusement pour résister au gouffre noir de la dépression. Toute son énergie, elle la reportait dans sa boutique de vêtements. Et cela marchait plutôt bien : elle avait du goût et les clientes ne s’y trompaient pas. Ce n’était pas pour rien que Hangzhou, la ville des parcs et villas patriciennes, passait, avec Suzhou, pour « un des deux paradis sur terre » (上有天堂,下有苏杭, shàng yǒu tiān táng, xià yǒu Sū Háng).

Mais à ses yeux, son succès ne comptait pas. Elle redoutait le moment de retourner chez elle le soir, seule dans cet appartement vide qui lui rappelait l’échec de sa vie. Se regardant dans le miroir, elle ne s’accordait aucun compliment sur son allure soignée (robe élégante, maquillage discret, coiffure impeccable). Si elle n’avait pu retenir son homme, nul autre n’irait le remplacer. A 43 ans, sa vie amoureuse s’arrêtait là…

Heureusement, pour la soutenir, il y avait Ma Ping, la fidèle amie. Lin Fen l’avait rencontrée il y a douze ans, alors que Ma travaillait dans la boutique voisine. Ma lui vouait une grande admiration, pour avoir su monter son affaire à la sueur de son front. Ma elle, velléitaire, n’arrivait à rien, et vivait de petits boulots… Lin Fen l’avait souvent dépannée dans des moments difficiles – quand elle avait du se faire opérer par exemple. Ainsi, Ma Ping, voyant bien la souffrance et la solitude de son amie, avait à présent moyen de lui exprimer sa reconnaissance pour sa bonté passée, et elle ne s’en privait pas, tentant de l’aider à franchir cette étape difficile.

Un après-midi d’octobre 2014, Ma Ping avait sorti Lin Fen à une terrasse sur la baie de Hangzhou. Sous un magnifique été indien, elle avait su l’arracher à ses pensées moroses, en lui apprenant une sacrée nouvelle : un de ses copains de 53 ans, PDG d’usine électronique, cherchait à se remarier ! Et quand Ma lui avait montré la photo de Lin, et décrit son tempérament, il avait dit son impatience de faire sa connaissance.

     « Incroyable, avait rétorqué Lin, souriante, et pourquoi pas tout de suite ? »  

     « Ah, pas possible, avait répondu l’amie, il est en mission à Xi’an » – avant d’ajouter, sourire coquin en coin : « mais vous pourriez vous voir à son retour dans trois semaines. En attendant, si tu veux, je lui donne ton portable ». Transfigurée par cet espoir, Lin avait accepté avec plaisir.

Or, divine surprise, dès le lendemain soir, Gao Peng – le PDG – l’appela pour se présenter. D’un timbre un peu aigu, amical, il lui expliqua combien il avait été charmé par son portrait, admiratif de la force déployée à se reconstruire. Veuf, il cherchait une compagne aimante et fiable. Elle était celle qu’il recherchait !

Prudente, s’interdisant de se jeter dans une chimère, Lin Fen l’interrogea sur son passé, sa relation avec sa disparue, son métier, sa famille… Ils bavardèrent ainsi jusqu’à l’aube : au fil des heures, elle sentit sa résistance fondre. Quand ils raccrochèrent, Gao Peng et Lin Fen en étaient à se jurer fidélité, rompant leurs solitudes. Elle voyait se profiler le couple idéal d’êtres sur le retour, toujours romantiques, mais dont la passion serait tempérée par l’âge, bonifiée en tolérance et en complémentarité.

Dans ce qui va suivre cependant, on devra s’interroger : comment Lin Fen avait-elle pu accepter la condition stupéfiante posée par Gao Peng à leur liaison – qu’ils ne se rencontrent jamais physiquement ? En quatre ans de 2014 à 2017, pas une fois put-elle le voir, fût-ce dans la rue, au restaurant, à fortiori dans l’intimité. Au fil des semaines, des mois, par téléphone et WeChat, son amant invoqua d’incessants rendez-vous et missions de prospection pour occulter son visage. Il avait bien sûr aussi ses parents à qui il devait se consacrer, et sa fille (car avant de disparaître des suites d’une longue maladie, sa femme lui avait donné une héritière) dont il devait s’occuper.

Après un temps, une fois qu’il fut certain de la solidité de la relation, il abandonna les prétextes pour lui déclarer tout de go qu’une relation platonicienne lui insufflait tellement plus d’émotions, d’intermittences du cœur… Avec Liang Liang sa disparue, lui confia-t-il, la vie conjugale n’avait pas été aisée, décevante à vrai dire. Avec Lin Fen, Gao Peng voulait à présent réinventer la passion amoureuse. Si elle éprouvait pour lui quoique ce soit de sincère, elle devrait respecter cette attente.

Or, loin de contester cette étrange exigence et de mettre un terme à cette relation, Lin Fen l’admira davantage, et tenta dorénavant de se conformer à cette règle du jeu. Peut-être plus tard, une fois cette phase vécue et menée à terme, tous deux pourraient-ils enfin se retrouver ?

Les espoirs de Lin Fen se réaliseront-ils ? La suite au prochain numéro !

 

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1 Commentaire
  1. severy

    Ca y est! Eric Meyer nous fait une fois de plus subir la torture qu’il semble avoir tirée du « Jardin des supplices », qui consiste à faire languir pendant une longue semaine ses millions de lecteurs dont il soupoudre la langue pendante et les yeux enlarmés d’une fine nappe d’illusions tout en leur faisant prendre leur mal en patience. La suite, viiite!

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